Nous sommes le 29 décembre 2020. Ceci est ma dernière chronique de l'année. L'année qui vient de s'écouler nous aura tous marqués. Beaucoup d'entre nous ont perdu quelqu'un de proche. Tous ont perdu une part de leur dignité et beaucoup de leurs espoirs.
Nous avons survécu à une pandémie, plusieurs n'ont pas eu cette chance. Mais aussi à des crises politiques sans précédent, à un nouveau Parlement, un nouveau président et de nouveaux équilibres. L'année qui vient de s'achever aura vu s'éteindre les plus grands, de Lina Ben Mhenni à Gilbert Naccache. Paix à leurs âmes. Ils manqueront à ce monde. Mais, très peu sûr que ce monde, tel qu'il est, leur manquera.
Nous aurions dit adieu à quelque uns de nos proches mais aurons abordé l'année à venir avec un plus grand enthousiasme. Comment ne pas être dans cet état d'esprit optimiste et joyeux ? L'année qui vient de s'écouler nous aura donné plus d'une raison de nous enthousiasmer et de porter en nous des espoirs grandissants quant à l'avenir qui nous attend. Cette pandémie nous aura rapprochés. Tout comme l'effervescence des premiers jours de la révolution, nous nous sommes de nouveau aimés les uns les autres et nous nous sommes recentrés sur l'essentiel. Le Parlement s'est mis à voter les lois qui s'imposent en un temps record et avec une efficacité inédite. Les tiraillements entre des familles et des formations politiques que tout devait opposer ont laissé place à l'apaisement et à la réflexion. Plus de clivages idéologiques ni politiques entre nous. Nous ne nous insultons plus dans la rue pour un petit feu rouge grillé, nous ne nous bousculons plus dans les files d'attente et nous nous respectons les uns les autres, tels de vaillants petits soldats disciplinés, masques au visage et bien distanciés. Nous ne sommes plus hargneux et dégoûtés à cause des disparités sociales, de l'injustice, de la corruption et de la pauvreté.
Etre optimistes pour l'avenir en temps de pandémie mondiale, voilà le paradoxe des grandes catastrophes. Elles ont l'avantage de vous rappeler que demain ne pourra être que meilleur. Surtout lorsque vos gouvernants vous auront prouvé que vous pouviez leur faire confiance et que vous étiez au centre de leurs préoccupations. N'est-ce pas, au fond, la mission pour laquelle ils ont été choisis ?
Ce président de la République, pour lequel la majorité d'entre nous a voté et dans lequel on a placé de grands espoirs a été à la hauteur de la responsabilité. Il n'a pas alimenté des théories complotistes farfelues et n'a pas avoué qu'il était trop impuissant pour les éluder. Il a été le catalyseur de la volonté populaire et a servi les causes les plus nobles. On a eu un président de la République plus clair et plus droit dans ses bottes. Moins de menaces et de discours flous, moins de divisions. Il est passé à l'acte, il nous a montré la voie. Un président apolitique, un « outsider » de ces sphères qu'on avait vomies, qui a une véritable vision et qui est porteur de changement. Voilà ce qu'il nous fallait et voilà ce que nous avons eu.
Notre chef du gouvernement a bien pris les rênes de la situation. Ancien ministre de l'Intérieur, choisi pour sa poigne et sa connaissance des rouages de l'Etat, il était destiné à sauver la situation et il a réussi à le faire. Muni d'une stratégie bien ficelée, il était parvenu à anticiper des problèmes et à y faire face…même s'ils n'étaient pas bien imprévisibles. Il a planifié d'implacables mesures pour aider les Tunisiens à appréhender la crise sanitaire. Les entreprises n'étaient plus livrées à elles-mêmes et les citoyens ne sont plus dans le désarroi. En véritable chef de guerre, ses discours ont été sécurisants et rassurants. Il n'aura ni envenimé une situation sanitaire qu'on avait pourtant commencé à maitriser, ni rendu la tâche encore plus difficile à des entreprises en pleine tourmente, ni encore attisé des tensions sociales qui étaient, déjà, au bord de l'implosion. Ses paroles ont été préparées, maitrisées, annoncées et respectées. Il ne nous a pas annoncé des mesures vitales via des communiqués à 2h du matin, ni mis le feu à des régions entières à cause de simples maladresses. Il a été un véritable chef de gouvernement en temps de guerre.
Notre Parlement s'est recentré sur l'essentiel. Des lois de la plus haute importance ont été votées en un temps record compte tenu de la sensibilité de la situation actuelle. Point de clivages, de tensions, de bagarres, ni de violences (!) dans la plus importante institution du pays. Mais des députés responsables qui ne se dénigrent pas les uns les autres et qui n'insultent pas un pan de la société au détriment d'un autre. Autrement dit, le minimum syndical.
Nous avions eu plus de plateaux TV invitant des analystes et des experts pour débattre de la situation politique, économique et sanitaire actuelle et moins d'émissions de TV poubelle. Des économistes, politologues et éminents médecins spécialistes auraient formulé en des mots clairs et intelligibles des solutions à la crise dans nos institutions, nos entreprises et nos hôpitaux. Ils ont été écoutés et suivis. Personne n'est mort avalé par un trou qui aurait dû être réparé depuis des années, aucun médecin n'aura été englouti par un ascenseur qui devait être remplacé depuis des lustres et aucun citoyen n'aura été écrasé par une pelleteuse alors qu'il aurait tout simplement pu être prévenu…
Relevant pourtant du simple bon sens, les mots que vous venez de lire sont évidemment de la pure utopie, fruit de ma modeste imagination et de nos plus grandes espérances. Nous aurions tous aimé que les choses se passent ainsi. Peut-être que l'année 2021 sera plus glorieuse, c'est l'espoir (un peu naïf et complètement déconnecté de la réalité) que nombre d'entre nous continuent pourtant à nourrir. Mais comment croire que reproduire les mêmes causes peut donner des effets différents ? …
Dans deux jours, nous aurons fait la fête – لمن إستطاع إليه سبيلاً – et célébré le départ (enfin) de cette sombre année. « Alors on va danser, faire semblant d'être heureux, pour aller gentiment se coucher mais demain rien n'ira mieux », disait Saez…