30 jours, jour pour jour, que Najla Bouden a été nommée cheffe du gouvernement par Kaïs Saïed. Elle a donné son premier discours le 11 octobre dernier dans lequel elle a insisté sur « la nécessité de rétablir la confiance des citoyens dans les institutions de l'Etat, leur gouvernement et en eux-mêmes ». Depuis, on ne l'a pas entendue parler. Autrement, qu'à travers Kaïs Saïed. Najla Bouden se trouve actuellement en France, à Paris, où elle participe jusqu'au 13 novembre au Forum de Paris pour La Paix et à la Conférence internationale sur la Libye. Il s'agit du deuxième voyage de la cheffe du gouvernement, après l'Arabie Saoudite, fin octobre. Pour l'instant, la page officielle de la Kasbah n'évoque nullement cette visite et se contente de relayer des rencontres datant de « ces derniers jours ». On apprend, entre autres, qu'elle a tenu, « au cours des derniers jours » au Palais de la Kasbah, une série de réunions avec un certain nombre d'ambassadeurs de pays frères et amis, ainsi que l'ambassadeur de l'Union européenne accrédité en Tunisie. Un « communiqué récapitulatif » qui ne spécifie pas les dates des rencontres mais les annonce en bloc en les accompagnant de généralités. « Les entretiens ont porté sur les moyens et perspectives permettant de renforcer la coopération dans divers domaines, notamment le domaine économique, compte tenu des opportunités d'investissement et des potentiels de la Tunisie, notamment son expertise humaine dans le domaine de l'ingénierie, de la technologie et de la recherche scientifique… ». Voilà ce à quoi on aura droit de la part de la présidence du gouvernement.
Depuis qu'elle est en poste, Najla Bouden ne s'est prononcée sur aucun des gros dossiers gérés par son gouvernement. Elle n'a présidé qu'un seul conseil des ministres et n'a même pas nommé ses conseillers, nommés par Kaïs Saïed via décret présidentiel. Elle ne s'est toujours pas adressée à la nation alors que les Tunisiens sont restés plus de deux mois sans chef de gouvernement depuis le limogeage de Hichem Mechichi le 25 juillet dernier. D'ailleurs, la conseillère à la présidence du gouvernement chargée de la communication, Amel Adouani, nommée par Najla Bouden, a été limogée en 24h sous ordre de Kaïs Saïed. On lui reproche d'avoir tenu des propos hostiles au chef de l'Etat et aux mesures du 25-Juillet sur sa page Facebook.
Face aux événements d'importance nationale, autant Najla Bouden que son gouvernement restent muets. Pas un mot sur les tensions qui secouent la ville de Agareb, à la crise sanitaire qui dure depuis plus d'un mois dans le gouvernorat de Sfax, à l'agression d'un professeur par son élève mineur et aux appels des syndicats à manifester. Dans ses entrevues avec le chef de l'Etat, Najla Bouden est filmée de dos, venant rendre des comptes et acquiesçant aux propos de Kaïs Saïed. Seul le chef de l'Etat est, en effet, amené à se prononcer sur les sujets d'intérêt national. Il dépêche le ministre de l'Intérieur de se rendre à Sfax pour trouver une issue « rapide » à la crise, il annonce une politique d'austérité et appelle les Tunisiens à mettre la main à la poche. Une fois le chef de l'Etat prononcé son discours, la page de la Kasbah se contente de le reprendre sur sa page. On a ainsi uniquement la version de Carthage.
Pendant ce temps-là, Najla Bouden agit dans l'ombre, dans le cadre de sa mince marge de manœuvre, mais n'a pas le droit de s'exprimer en public. Ni elle, ni les autres membres de son gouvernement. Pendant que Kaïs Saïed fait appel à la générosité des Tunisiens, Najla Bouden reprend les négociations avec le FMI. Carthage et la Kasbah sont-ils en train de se saboter ou est-ce que Najla Bouden travaille à couvrir les arrières de Kaïs Saïed et à faire preuve de rationalité face à ses discours utopistes ?
A l'heure actuelle, Najla Bouden, professeure discrète et peu habituée aux feux de la rampe et au brouhaha de la politique, communique très peu sur sa stratégie. A supposer qu'elle en aie une. Elle s'est réunie, il y a quelques jours avec les directeurs généraux et les responsables de structures de la présidence du gouvernement, à qui elle a demandé de « dresser une stratégie de travail pour le reste de l'année et pour l'année à venir et de faire des propositions de réforme ». Pas très encourageant…
Premier gouvernement tunisien dirigé par une femme, le gouvernement de Najla Bouden a suscité l'espoir au moment de sa création. Il possède, cependant une autre particularité, le mutisme qui semble être le maitre mot à bord, en plus d'une très faible marge de manœuvre…