Chers lecteurs, bonne année 2022 à tous. Meilleurs vœux de santé et de bonheur. Surtout la santé, c'est l'essentiel. A elle seule, elle est responsable de 90% de notre capital bonheur, nous rappelle Schopenhauer. Pensons à la préserver en ces temps de Covid avec un variant Omicron qui fait des ravages un peu partout dans le monde. Au menu de cette année 2022, nous aurons inévitablement une nouvelle crise Covid avec son lot de décès et de mesures sanitaires liberticides. En politique, nous aurons une consultation nationale, un référendum, des élections législatives et peut-être une présidentielle. En économie, l'Etat aura sa crise budgétaire, plusieurs entreprises mettront la clé sous la porte et le peuple aura une belle inflation qui pourrait atteindre les deux chiffres. N'est-ce pas paradoxal que de vous souhaiter une bonne année, puis de vous annoncer, dans le paragraphe d'après, un programme des plus pessimistes ? Ainsi va la Tunisie, on commence par les bonnes choses et dès qu'on avance un peu, on bascule dans le mauvais. Ainsi était le cas du 14-Janvier ou du 25-Juillet. Nous avons espéré un renouveau politique dans le pays, suivi de l'essor économique qui en découle, mais force a été de constater ensuite que l'après n'était pas meilleur que l'avant. Qui est responsable de nos débâcles ? Les politiques, les magistrats, les médias, les économistes, les pays qui nous veulent du mal, les islamistes, les laïcs ? La réponse tient en un mot : les Tunisiens. Oui, tous les Tunisiens sans exception sont responsables de ce qui leur arrive. Pourquoi ?
Prenons exemple du dernier « événement » de l'année 2021, l'arrestation (ou le kidnapping) de l'ancien ministre de la Justice, le député d'Ennahdha Noureddine Bhiri. Hallucinant le nombre de personnes qui se sont réjouies de son malheur et qui ont applaudi le président de la République et sa cabale contre un des islamistes les plus honnis du pays. Faut-il se réjouir du malheur des autres ? Je n'ai pas de leçon à donner, chacun est libre de ses sentiments et de se réjouir de ce qu'il entend. Faut-il se réjouir ou encourager l'injustice que peut subir une personne ? Jamais au grand jamais ! Dans sa chronique hebdomadaire, Ikhlas Latif a bien expliqué ce principe et le danger de fermer les yeux sur le non-respect des procédures judiciaires par l'Etat. Inutile de revenir dessus. On se rappelle encore comment Noureddine Bhiri a fait obtenir à son frère pédophile une amnistie que lui a signée l'ancien président Moncef Marzouki. On se rappelle encore comment l'ancien maire de Tabarka, Jilani Daboussi, est mort sans procès dans la prison de Bhiri. Son fils Sami Daboussi ne fait que multiplier les procès contre Noureddine Bhiri. On se rappelle encore comment la cour de cassation a ordonné la libération de l'homme de médias Sami El Fehri et comment le parquet avait refusé, sur ordre de Noureddine Bhiri. On se rappelle aussi comment l'épouse de Noureddine Bhiri est allée voir Sami El Fehri dans sa cellule pour le faire chanter : soit il met de l'eau dans le vin de sa télévision Ettounsiya, soit il reste en prison. On sait tous comment il a fait chanter des dizaines de magistrats. On n'oubliera jamais ses interventions à l'assemblée et ses menaces à la télé. Bref. Que Noureddine Bhiri soit en prison ou à l'hôpital, que son épouse s'évanouisse ou pique une crise de nerfs, ça doit être le dernier de nos soucis. On s'en moque, Noureddine Bhiri est la quintessence de tout ce qu'on déteste chez les islamistes. Mais que Noureddine Bhiri n'ait pas droit à un processus judiciaire équitable devrait être le premier de nos soucis. Pourquoi ? Parce que c'est une question de valeurs, parce que l'Etat ne doit pas avoir de sentiments, parce que la Justice n'est pas là pour répondre aux pulsions des citoyens, elle est là pour appliquer le droit à tous, sans distinction.
Si l'année 2022 s'annonce mauvaise et si tous les Tunisiens sont responsables de ce qui leur arrive, c'est parce qu'on ne respecte pas les principes et les valeurs. Sans ces valeurs, sans ces principes, nous ne serons en rien différents des animaux. Sans le respect des lois qui régissent notre pays, et notre vie ensemble en société, il n'y a point de salut. Ceux qui ont applaudi le kidnapping de Noureddine Bhiri en prétextant que le fait qu'il soit une racaille justifie amplement ce qui lui arrive, sont ceux-là mêmes qui grillent un feu rouge quand il n'y a pas un policier au croisement, qui jettent des détritus par terre, qui dérangent le voisinage avec le volume de leur télé, qui regardent votre assiette au restaurant et zieutent votre caddie au supermarché. Respectons les valeurs universelles, respectons nos lois et notre pays sera la Suisse en cinq ans ! En attendant, rien ne nous diffère d'un peuple sous-développé, « incivilisé », voire barbare. Le président de ce peuple s'appelle Kaïs Saïed, il est élu avec 72,71% et il lui ressemble. Lui aussi, il est mu par ce bas instinct de jouissance devant le malheur des autres, sous prétexte de revanche. Idem pour son prédécesseur Moncef Marzouki et on se rappelle encore comment il traitait les figures de l'ancien régime qualifiées de « azlem ». La roue a tourné et Moncef Marzouki subit aujourd'hui ce qu'il a fait subir hier. Dans un cas comme dans l'autre, l'Etat de droit est bafoué. Moncef Marzouki est parti, Kaïs Saïed partira et notre Etat va rester. Et cet Etat se doit d'être un Etat de droit pour que l'on puisse vivre ensemble. A défaut, c'est la jungle et c'est ce qui arrive depuis le 25 juillet. Assignations à résidence injustes sans décision judiciaire, plusieurs personnes jetées en prison puis libérées, car les juges n'ont rien trouvé d'accablant dans leurs dossiers, interdictions de voyage... A cause de son esprit revanchard, Kaïs Saïed a utilisé l'appareil de l'Etat à des fins personnelles et créé des victimes de toutes pièces. A cause du non-respect des procédures judiciaires, il a transformé Moncef Marzouki, et maintenant Noureddine Bhiri, en victimes alors que les dossiers les accablant ne manquent pas. Noureddine Bhiri mérite, peut-être, vingt ans de prison, mais cette peine doit être prononcée par un juge, à l'issue d'un procès équitable, et non par le « prince ».
En ordonnant l'arrestation arbitraire de Noureddine Bhiri le week-end du jour de l'an, Kaïs Saïed a joué de machiavélisme, ce qui est étonnant de sa part. Le « peuple » (autoproclamé plus intelligent de la terre) ne parle plus que de cela et a oublié la promesse présidentielle de lancer le 1er janvier, la consultation nationale. Peu importe que cette consultation ne soit pas lancée, puisque Bhiri est arrêté. Le « peuple » ne verra pas toutes les augmentations imposées par la Loi de finances 2022. Peu importe, puisque Bhiri est arrêté. Le « peuple » ne verra pas comment plusieurs entreprises vont déclarer faillite à cause de cette loi décidée sans aucune concertation et sans aucun débat. Peu importe, puisque Bhiri est arrêté. Le « peuple » ne verra pas comment l'Etat ne va pas faire de recrutements et va pousser les entreprises à licencier. Peu importe, puisque Bhiri est arrêté. Le « peuple » ne verra pas que le gouvernement n'a pas de quoi financer son budget et payer les salaires et n'a même pas de plan B au cas où le FMI lui refuse un énième crédit, mais peu importe puisque Bhiri est arrêté. Le « peuple » ne voit pas comment Kaïs Saïed est en train de servir aux islamistes un cadeau en or, celui de la victimisation. Un art dans lequel ils ont toujours excellé. Le peuple ne voit que le bout de son nez, celui d'avoir mis Bhiri au cachot et ressent exactement la même chose quand on a mis en prison les « azlem ». Le « peuple » ne voit pas comment Kaïs Saïed est en train de faire de la diversion pour lui faire oublier qu'il est un président qui n'a pas de parole, qui n'a pas de programme, qui joue la fuite en avant et qui ne comprend rien aux affaires économiques et aux affaires de l'Etat. Le « peuple » ne voit pas comment Kaïs Saïed est en train de dire la chose et son contraire et de détruire l'Etat tunisien. Le « peuple » ne voit pas comment il est manipulé par Kaïs Saïed. En ce sens, je me dois de le féliciter, il a bien joué la diversion du 31 décembre avec l'arrestation de Noureddine Bhiri. On a presque oublié qu'il ne nous a même pas présenté ses vœux du nouvel an et on a presque oublié comment il nous a menti la veille en déclarant qu'il n'est pas responsable des procédures judiciaires engagées contre Moncef Marzouki.
Quel a été le résultat après les arrestations arbitraires et la chasse aux sorcières de 2011 ? Quel a été le résultat des manipulations grotesques de la troïka, de l'IVD, des CPR et des islamistes ? Une décennie de débâcles ! C'est exactement ce qui arrive aujourd'hui, onze ans après, avec Kaïs Saïed. Ce n'est pas une année 2022 catastrophique qui nous attend, c'est une décennie noire qu'on prépare, tant que ce peuple ne respecte pas les valeurs universelles qui font de nous des êtres humains civilisés et tant que le « prince » ne respecte pas le droit qui fait de notre pays un Etat de droit.