Le président de la république Kaïs Saïed a publié samedi, tard dans la soirée, un nouveau décret portant sur le remplacement du Conseil supérieur de la magistrature par un Conseil provisoire de la magistrature sans mettre de limite à ce caractère provisoire qui pourrait durer indéfiniment. Beaucoup de Tunisiens avaient une position très critique à l'égard du Conseil supérieur de la magistrature qui s'est embourbé dans les magouilles, les affaires de corruption, les accointances politiques et a failli à sa mission. Ils se retrouvent aujourd'hui perplexes et affres face à un Conseil provisoire de la magistrature qui consacre la confiscation du pouvoir judiciaire, la mainmise totale du président de la République sur la magistrature et la mise au pas de l'ensemble du corps des magistrats. En résumé, le pays a souffert durant la décennie noire, de la justice de Noureddine Bhiri. Il souffrira désormais de la justice de Kaïs Saïed.
L'une des aberrations flagrantes de ce Conseil provisoire de la magistrature est qu'il est totalement désigné par le chef de l'Etat. Il représente une régression qualitative par rapport au Conseil supérieur de la magistrature dissous, qui était élu par la majorité des magistrats. Remplacer une structure élue, même défaillante, par une structure totalement désignée, éloigne le pays de l'idéal démocratique. Remplacer une structure inclusive qui regroupait à côté des magistrats, les avocats et les universitaires, par une structure strictement sectorielle, sinon sectaire, l'éloigne des normes internationales. En effet le conseil provisoire de la magistrature est composé de vingt et un membres dont douze juges désignés en leurs qualités de hauts fonctionnaires de l'administration judiciaire et neuf anciens magistrats partis à la retraite qui sont désignés à la convenance du président de la République. D'ailleurs, le décret portant création de ce nouveau conseil provisoire laisse totalement les mains libres au président de la République pour intervenir quand bon lui semble et faire ce que bon lui semble des magistrats et de leurs carrières.
Les membres du nouveau conseil provisoire représentent donc celui qui les a désignés. Ils ne représentent aucunement les magistrats tunisiens. Ces derniers se retourneront, à coup sûr, vers leur association et leur syndicat, qui sont des structures représentatives du corps judiciaire pour y trouver refuge contre l'hégémonie et peut-être l'arbitraire de cette nouvelle structure inféodée au pouvoir présidentiel, qui décide de l'évolution de leurs carrières mais sur laquelle ils n'ont aucun pouvoir de contrôle. Priver les magistrats du droit de grève, comme le stipule laconiquement l'article neuf du nouveau décret, ne changera rien au climat de tension que connaitra vraisemblablement la scène judiciaire les prochains mois. Cet article ne fait que souligner le caractère liberticide de ce décret et les visées hégémoniques du président de la République. Son application est tributaire du degré de soumission des magistrats tunisiens. Or, il n'y a pas si longtemps, même si c'était pour de mauvaises raisons, les magistrats tunisiens ont montré une grande capacité de mobilisation.
Maintenant que le président de la République concentre entre ses mains l'ensemble des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, il se met lui-même dans une situation qui rétrécit sa marge de manœuvre. Il ne peut plus invoquer les résistances des lobbys de la politique et de la corruption pour justifier l'immobilisme et le « sur-place » que vit le pays depuis presque sept mois. Les Tunisiens attendent de lui, désormais, des résultats concrets et rapides dans des dossiers graves comme ceux des assassinats politiques, le financement occulte des partis politiques, l'organisme paramilitaire et financier parallèle et secret du parti Enanhdha et les différentes affaires de corruption.
En fait, il ne reste au président de la République, pour se retrouver à la tête d'une dictature pure et dure à la nord-coréenne, que de mettre au pas les médias. Là encore, au vu des derniers développements, cela ne saura tarder.