En annonçant les résultats de sa consultation, le président de la République, Kais Saïed a aussi fait savoir que ce sera le point de départ d'un dialogue national. Ce mécanisme, toutes les parties prenantes de la scène politique y ont appelé. Depuis des mois, organisations et partis politiques n'ont cessé de demander un dialogue pour une issue à la crise. Les partenaires étrangers ont également exprimé le souhait que cela se réalise. Kais Saïed a toujours atermoyé, il se décide finalement mais pas comme le pensaient tous les intervenants. Au lendemain, de son intervention tardive (vers minuit) pour présenter les résultats de sa consultation, Kaïs Saïed a multiplié les entrevues avec notamment trois des quatre acteurs de l'ancien dialogue national, en l'occurrence la centrale syndicale UGTT, le patronat Utica et l'ordre des avocats. Une question qui se pose, où est la Ligue tunisienne des droits de l'Homme ? En tout état de cause, le président a sa propre idée de ce que doit être le dialogue. « Cette consultation est nationale et sera la base d'un dialogue avec les intègres et les sincères […] Construisons notre Etat sur des bases solides, conformément à la volonté du peuple tunisien et non pas avec les traitres qui l'ont martyrisé ! », avait-il martelé, ferme et déterminé. Pas de marge de manœuvre pour les différents intervenants. Cela se fera selon les conditions et desiderata présidentielles. C'est Saïed qui donnera le tempo et les contours du déroulement de la chose. Il en exclura tous ceux qu'il considère comme indésirables et traitres, à savoir une bonne partie des formations politiques. Les résultats de l'enquête à laquelle 534.915 personnes ont répondu, ce qui ne représente pas un échantillon représentatif des Tunisiens, sera la base du dialogue. Ceci ne peut que conforter le président dans son entreprise puisque les réponses correspondent majoritairement à son projet. Mais serait-ce vraiment un dialogue national dans la mesure où les dès ont été déjà jetés et que la chose est bien verrouillée ? Kaïs Saïed n'en n'a toujours fait qu'à sa tête en suivant ses desseins personnels, ce n'est pas maintenant qu'il viendrait bousculer ses habitudes. Son calendrier, il y tient et gare à ceux qui crient aux dérives constitutionnelles. Un dialogue sur la base de la consultation, un référendum le 25 juillet, des législatives le 17 décembre. Le chef est intraitable, quand bien même la commission de Venise lui ait signifié sa disposition à lui apporter une aide constitutionnelle, il s'en écarte et ne choisira que sa propre voie.
Trois entrevues donc avec les lauréats du Nobel de la paix. Trois organisations qui ne s'étaient pas totalement opposées à la démarche présidentielle depuis le 25 juillet. Si l'UGTT et l'Utica (surtout la centrale syndicale) n'ont pas hésité à critiquer certaines mesures, l'ordre des avocats semble jusque-là assez docile et ce n'est pas la déclaration de son bâtonnier qui viendrait le démentir. D'abord une réunion avec le bureau exécutif du puissant syndicat. Le président de la République assure que la rencontre est la preuve vivante de son ouverture au dialogue et que les solutions à la crise ne seraient pas unilatérales. Le secrétaire général de l'organisation, Noureddine Taboubi affirme de son côté qu'il existe un rapprochement des points de vue et des visions avec le chef de l'Etat. Selon ses dires, cela concerne notamment la gestion des entreprises publiques ou encore la réforme du système éducatif, entre autres. L'UGTT, dont les multiples propositions d'un dialogue étaient tombées dans l'oreille d'un sourd auparavant, semble aujourd'hui disposée à se mettre autour d'une table. La veille, le syndicat avait fortement critiqué le gouvernement du président, ses choix et son rendement qu'il juge ne pas être à la hauteur des défis imposés par la situation compliquée « aussi bien à l'échelle nationale que régionale et internationale et ne répondent pas aux attentes des Tunisiens ». L'UGTT arrivera-t-elle à s'imposer face à un Kaïs Saïed qui semble ne pas trop tolérer les critiques et les revendications qui ne vont pas dans son sens ? Deuxième rencontre : le bâtonnier Brahim Bouderbala. Le monsieur était dithyrambique. Il ne tarissait pas d'éloges sur les réalisations présidentielles. Très disposé, de fait, au dialogue. Extrait de son commentaire après l'entrevue : « J'ai assuré au président que la voie empruntée aujourd'hui est un processus historique et que son succès engagera la réussite du pays et pourra réaliser les espoirs des Tunisiens. L'ouverture du président au dialogue avec les personnalités et les parties patriotes et intègres ne peut que tranquilliser les citoyens sur le processus qu'il a choisi d'emprunter. Les avocats sont prêts à participer à tout ce qui assurera la réussite et la pérennité du pays ». Dernière rencontre de la journée, le bureau exécutif de l'Utica, mené par Samir Majoul. La centrale patronale a été, depuis le 25 juillet, assez frileuse jusqu'au mois de mars où le ton a été haussé. Il faut dire que la situation économique et des mesures gouvernementales contraignantes, couplées à des campagnes présidentielles hasardeuses, ont réussi à sortir le patronat de sa zone de confort. Lors de l'entrevue, Kaïs Saïed a été clair : le dialogue ne doit pas se faire avec les personnes qui ont pillé et abusé des ressources du peuple. Samir Majoul a, lui, montré patte blanche : « Nous avons assuré au président que notre rôle est d'être toujours aux côtés du président et du gouvernement pour sortir le pays de la crise. Nous avons toujours soutenu les mesures du 25 juillet et aujourd'hui l'environnement social et économique doivent être changés pour redonner de l'espoir aux Tunisiens ».
En attendant la suite et probablement des rencontres avec organisations et partis « sincères et intègres », d'après les critères présidentiels, Kaïs Saïed continue à mener sa barque vers un rivage toujours incertain. La crise économique et institutionnelle s'aggrave. L'horizon est flou.