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Le Mot
Publié dans Business News le 03 - 04 - 2022

« Le mot est la demeure de l'être » disait Martin Heidegger, comme il disait en citant le poète Stefan Georg « aucune chose ne soit, là où le mot faillit ». Deux citations qui vont nous éclairer dans notre approche du « mot » et par extension du langage tel qu'il est défini par Heidegger dans l'objectif de comprendre le rapport qu'a le Tunisien au mot, et les implications d'un tel rapport sur le plan politique, social et économique.
Si Heidegger affirme que l'Homme connaît deux naissances, la première biologique, palpable, ontologique, la deuxième c'est une naissance dans une culture à travers le langage. Ce rapport au langage détermine l'essence même de l'être et de l'individu dans ses interactions avec le monde extérieur. Outre les dimensions psychologiques de ces interactions, leurs implications politique, sociale et économique traduisent la distance, la position de l'individu entre le performatif (forme extrême de la collision avec le réel, quand le langage et l'action se confondent) et le dilettantisme, quand le lien entre le langage et l'action revêt des formes prosaïques, voire illusoires.

L'illusion de puissance chez le politique
Le « langage » performatif est le propre du Divin, si tant est que ce dernier se manifeste à travers le langage. Il peut l'être aussi pour les puissants de ce monde pour qui aussitôt le « mot » est prononcé, il se traduit en action qui oblige. Le champ politique est propice à cette conception performative du langage en fonction des contraintes qui s'interposent entre le langage et son déploiement dans le réel. En d'autres termes, moins il y a de langage contradictoire porté par des corps intermédiaires qui s'interposent entre le langage du politique et le déploiement et plus le langage devient performatif et obligeant. Ce déploiement pose d'énormes problèmes de faisabilité dans le champ du réel qui lui-même obéit à ses propres règles dans une logique concentrique. L'élimination des corps intermédiaires, n'élimine pas les contingences exogènes à la volonté du politique.
Le politique, ignorant ces contingences, se contente de l'éphémère performativité de son langage, quand ce dernier se suffit à lui-même. Qu'importe si le déploiement se fait dans le réel ou non, l'essentiel c'est l'illusion de puissance que le langage produit chez le politique. Quand, par exemple, un président dit qu'il « combat la corruption », le déploiement de ce langage dans le réel se heurte aux contingences extérieures qui rendent ce langage « creux ». On assiste à la perte de la parole « pleine » et à l'avènement de l'Homme vide comme le dit le poète T.S. Eliot « The Hollow Men ». Lacan désigne cet avènement de l'Homme vide ou creux, comme l'expression de l'inauthenticité, de l'aliénation, voire de la folie.
A l'inverse de l'Homme politique, le poète voue au langage un « respect » qui concourt à l'authenticité et à la coïncidence entre la pensée/sentiment et le langage déployé. La poétesse Souad Essabah identifie ce rapport peu sérieux avec le langage chez les Hommes bernés de puissance illusoire. Elle se propose comme l'antithèse de l'Homme au langage performatif soulignant, dans un de ses poèmes, son incapacité à traduire en langage l'authenticité d'un sentiment enfoui qui peine à exister faute de langage approprié quand elle avoue « que le langage se perd à l'embouchure de ses lèvres » (wa ana yatouhou a'la femi etta'birou). Par là-même, elle fait preuve de cette authenticité qui manque à l'Homme à la puissance illusoire. Cette authenticité traduit le « respect » que la poétesse a pour le langage souvent malmené, galvaudé par des êtres ivres de puissance.
C'est dans cet intervalle entre le langage et les faits que naissent toutes les incohérences, les tricheries, les escroqueries intellectuelle, sociale et économique. Quand le langage se drape de vertus religieuses on atteint une forme de paralysie morale. Si Dieu fait coïncider dire et faire, l'Homme politique défaillant tient le « dire » pour « faire » et par là-même, perd la performativité au profit de l'illusion. Il remplace l'action par un flot intempestif de mots creux, s'enivre du lyrisme de mots libres de toutes les contraintes et de toute responsabilité. Chez certains Hommes politiques, le rapport au verbe est incestueux, réflexif, tourné vers soi et pour soi. C'est le propre de « l'Homme de conviction » comme le définit Milan Kundera. Celui qui met volontairement un terme à sa propre évolution et se condamne à la répétition : paralysie intellectuelle et suicide du mot.
« Aucune chose ne soit, là où le mot faillit », et cette défaillance chez l'Homme politique embarque tout sur son chemin : déconstruction des concepts, perte des valeurs, perte de repères, nivellement par le bas et d'aucuns diront populisme.

Champ social et dilettantisme
Sur le plan social, le dilettantisme, le rapport peu performatif du langage produit les mêmes effets ravageurs qui faussent tout sur leur passage. Lacan nous dit qu'au commencement fut le verbe et que nous vivons dans sa création. Dans les sociétés dilettantes, cette création est difforme, évolue rhizomatiquement vers des champs sémantiques de plus en plus lointains du commencement, du sens originel. C'est ainsi que dans les rapports sociaux, des expressions telles que « inchallah », « normalement » établissent une distance entre le sens originel et la performance. A l'engagement, la responsabilité, l'exigence de soi s'intercale une bulle d'air, voire un gouffre qui libère de toute responsabilité et ouvre la voie à la dérobade, à la tricherie à la désinvolture. Quand un tunisien termine son engagement verbal par un « inchallah », « ken hab rabbi », « rabbi issahil », il s'entoure de précautions verbales qui l'éloignent de la contrainte de la parole donnée.
Le recours à une force supérieure à soi, déresponsabilise à moindre frais étant tous soumis à une volonté supérieure, celle du Divin censé décider de tout. Une expression telle que « Allah ghalib », paralyse la pensée rationnelle, mesurable et calculable, donc cognitive et interpose entre les individus un champ suprahumain qui les aplatit dans une égalité de soumission. Le doute s'installe alors, et la parole perd sa performativité et sa puissance. Se développe ainsi dans l'esprit des individus un rapport « méfiant » vis-à-vis de la parole donnée dès lors qu'elle est soumise à une force extérieure échappant au contrôle des individus. L'aléatoire s'installe et avec lui tous les conflits possibles qui peuvent prendre des formes violentes.

Le champ économique
Jadis les « contrats verbaux » assortis ou non d'une accolade ou d'une poignée de main, faisaient coïncider langage et fait réel, avaient force de loi. La non-tenue de la parole donnée était considérée comme une rupture de contrat et entraînait des représailles allant de l'indemnisation suite à un préjudice moral jusqu'à des sanctions plus graves, comme l'emprisonnement, voire la peine de mort.
A l'examen du conflit Russo-Ukrainien, on constate que l'une des raisons qui sous-tendent ce conflit réside dans le non-respect d'un contrat verbal passé entre plusieurs parties prenantes. En effet, le 9 février 1990 M. James Baker et M. Mikhail Gorbatchev s'étaient mis d'accord sur le principe de la réunification des deux Allemagnes en échange d'une délimitation stricte du champ d'action de l'OTAN. Cet accord verbal vieux de 22 ans n'avait pas fait l'objet d'un formalisme juridique écrit et s'est limité à la puissance de la parole donnée. La rupture progressive de ce contrat verbal (ce n'est pas l'unique raison) débouche aujourd'hui sur un conflit sanglant causant la mort de plusieurs centaines personnes. Cela entraîne aussi une crise d'approvisionnement, mettant à mal un système économique mondialisé.
Aussi bien dans sa dimension politique, sociale ou économique, c'est dans ce rapport au « mot » et ses différentes déclinaisons, entre performance et dilettantisme, que se mesure le degré de responsabilité.
On jure son engagement verbal en invoquant Dieu et on défait le même engagement en ayant recours à Dieu aussi. Entre « wallah » et « Allah ghalib » le Tunisien s'engage et se désengage faisant ainsi chanceler le « mot » sur ses bases en introduisant méfiance et insécurité. Quand allons-nous comprendre que le respect de soi et des autres passe tout d'abord par le respect du « mot » ?


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