Il est des pratiques difficiles à oublier, des réflexes presque involontaires qui refont surface dans l'exercice politique, dès qu'un vent de changement autoritaire (ou pas d'ailleurs) s'installe. La flatterie, la lèche, la flagornerie, l'art pas très subtil de la courbette. Dans son Ethique à Nicomaque, Aristote définissait la chose : « Celui qui tombe dans l'excès (de l'amabilité), s'il n'a aucune fin intéressée en vue est un complaisant, et si c'est pour son avantage propre, un flatteur ». Cette voix qui a traversé les siècles pour nous parvenir serait étonnée de voir que malgré l'évolution de la pensée humaine, certains traits ne disparaissent jamais. De tout temps, l'homme ou la femme qui détient le pouvoir attire un essaim qui lui tourne autour attiré par un butin espéré ou quelques fragments de ce pouvoir. Avant 2011, la flagornerie a été, implicitement, élevée au rang de sport national. Pour espérer un poste à responsabilité ou de haut rang dans l'Etat, mettez de côté la compétence comme premier critère, il faut tout d'abord montrer patte blanche, faire allégeance et devenir expert laudateur. On aurait pu croire que ces pratiques faisaient partie du passé en Tunisie, que plus jamais on ne verra courtisans et courtisanes courber l'échine face au grand chef. Détrompez-vous, certains considèrent qu'un tel savoir-faire ne peut être sacrifié sur l'autel du changement des mentalités et des acquis démocratiques.
« Le président travaille au moins 20 heures par jour. Ceci est un petit exemple qui témoigne de son état », disait l'ancienne conseillère du président sur la première chaîne publique. Rachida Ennaïfer est dans les starting-blocks pour partir à l'assaut du palais. Pour cela, il est nécessaire de faire dans la démesure quitte à ce que l'histoire des 20 heures de travail par jour se retourne contre celui à qui elle fait du pied. Mais de compétences en communication, elle n'a nul besoin, seulement d'une bonne dose de flagornerie qui, on le verra par la suite, lui garantira sans délai un accès à Carthage. Rachida Ennaïfer défendait son ancien patron face aux déclarations choquantes, fuitées, de son ancienne collègue. Il y a là une revanche et une place à prendre. Courber l'échine n'a donc aucune importance, il fallait réagir et vite.
Une parenthèse en passant, le plateau auquel l'ex-conseillère a été invitée, vaut le détour. Un cas d'école de flagorneries d'une presse servile, au pas du pouvoir en place. Quand madame Ennaïfer a sorti l'histoire invraisemblable des 20 heures de travail par jour, la journaliste lui donne tout de go du « machallah » en signe de béate admiration. C'est que les vieilles habitudes ont la peau dure et il est difficile de s'en délester après seulement quelques années. Un plateau où les participants s'échinent à justifier, en usant la plupart du temps d'arguments saugrenus, les nouvelles approches présidentielles et à en reluire l'image. Il n'y a plus qu'à attendre une nouvelle couleur fétiche qui viendrait égayer nos yeux orphelins du mauve d'antan. On ne retient aucune leçon du passé.
Grâce à sa sortie médiatique, Rachida Ennaïfer a été invitée le lendemain par le chef de l'Etat pour un brin de causette autour, nous disent les services de la présidence, de la liberté d'expression et de la presse et du fait que le président y soit vraiment très attaché. Tellement attaché qu'on constate une montée des attaques contre les journalistes et des violations de leurs droits, notamment l'accès à l'information. Les canaux de communication avec le pouvoir en place sont coupés, le président voyant d'un mauvais œil les corps intermédiaires. Mme Ennaïfer n'était pas en reste quand elle était à l'œuvre au palais. Le lèche-bottisme connait un regain d'intérêt depuis le fameux 25 juillet surtout avec la forme nouvelle/ancienne qui caractérise le pouvoir en place. Un seul homme qui accapare toutes les prérogatives, c'est tentant et ça ouvre la porte à plusieurs possibilités si on sait y faire. Certains laudateurs n'ont aucune honte à reléguer au placard dignité et principes pour proposer leurs services et décrocher un poste, une auto-humiliation qui s'oppose à l'essence même de la démocratie.