Entre ceux qui appellent au boycott du prochain référendum constitutionnel, ceux qui appellent à y participer en votant par oui ou par non, d'autres qui désirent revenir à l'avant 25 juillet 2021, ou encore une très probable majorité de Tunisiens qui n'émettent aucun avis sur la question, les positions divergent. L'on pourrait alors croire à l'expression d'un environnement politico-social sain, traduisant une classique diversité des opinions, dans une démocratie moderne. Mais loin s'en faut ! Car ce que nous vivons depuis le 25 juillet 2021, pourrait avoir tous les qualificatifs qu'on veut (certains parlent de coup d'Etat, d'autres d'un coup de force institutionnel, d'autres encore d'une correction de trajectoire indispensable...), sauf celui d'un fonctionnement des plus hautes institutions de l'Etat selon les règles démocratiques.
D'ailleurs, il semble utile de s'arrêter un instant sur ce concept de démocratie. A en croire l'opinion dominante qui règne actuellement dans notre espace public, médiatique et même intellectuel, c'est un concept qui ne nous va pas, nous autres Tunisiens. Cette tentative de transition démocratique entamée depuis 2011, aurait non seulement échoué, mais serait responsable de tous les maux vécus durant cette décennie qu'on qualifie de « noire » (nos amis Algériens devraient nous envier !). L'on oublie désormais, que par démocratie et au-delà des descriptions purement techniques impliquant la pluralité politique, les élections libres et transparentes, une séparation des pouvoirs, une passation du pouvoir pacifique, il s'agit principalement du concept d'Etat de droit dont on a besoin. Et il n'est point de développement sans Etat de droit ! Mais puisque de cette démocratie, « le peuple » n'en veut pas, passons... Que veut le peuple alors ? Seul le président Kaïs Saïed et quelques-uns de ses disciples, semblent le savoir.
Une nouvelle constitution ? Certes la défunte constitution de 2014 était truffée de contradictions, et le régime politique choisi depuis 2014 ne permettait pas de gouverner d'une manière efficiente. Des rectifications étaient donc nécessaires. Mais était-ce une urgence ? Et surtout, fallait-il rédiger une toute nouvelle constitution ? Certains semblent croire que oui. Mais, il faut l'avouer, la principale raison qui explique cette précipitation, est que notre cher président avait besoin de « sa constitution ». Et disons le clairement : la participation ou le boycott au prochain référendum, le vote par oui ou par non n'aura rien d'un débat sur le fond. Le RDV du 25 juillet prochain sera tout simplement celui d'un plébiscite (ou non) pour Kaïs Saïed. Car à l'approche d'une saison estivale qui s'annonce festive (espérons-le du moins !) de surcroit débarrassée d'une pandémie qui avait confiné les Tunisiens deux années durant, il y a fort à parier que débattre d'un projet constitutionnel article par article sera le cadet des soucis d'une majorité écrasante de nos compatriotes. D'autant que la constitution précédente adoptée quelques années plutôt, après moult tergiversations, compromis, concessions et disputes ayant frôlé l'affrontement violent et comptant au passage deux assassinats politiques, a été balayée d'un revers de main par le président en exercice, élu d'ailleurs sur les bases de cette même constitution ! Alors à quoi bon ??
D'un autre côté, on est en droit de se poser la question : et si ce projet constitutionnel accouchera d'un superbe texte ? Garantissant les droits et les libertés. L'égalité parfaite entre les citoyens. L'équilibre des pouvoirs. L'efficience de l'appareil exécutif. Le droit des générations futures à une santé et une éducation de qualité, au développement durable. Qui sait ? Cela mettra dans l'embarras ceux qui appellent à boycotter le référendum ou ceux qui dès à présent, et avant même la lecture du projet constitutionnel, ont choisi le non comme option. Et d'ailleurs à quel camp politique appartiennent ceux qui appellent au boycott du prochain référendum ou encore à voter non par principe ? Ceux appelant au boycott peuvent se subdiviser en « boycotteurs désintéressés » autrement les personnes considérant juste que tout le processus entamé depuis le 25 Juillet dernier est illégal, et de fait tout ce qui en résulte l'est également .Logique. D'un autre côté les « boycotteurs intéressés », où ceux qui avancent les mêmes arguments d'illégalité, mais qui sont surtout obnubilés par la perte de leur privilèges (c'est-à-dire que leur principal soucis étant de ne pas être rois à la place du roi !). Logique mais mal intentionnée. Quant à ceux qui appellent à voter non avant la lecture du texte constitutionnel ? Avouons que leur démarche est peu compréhensible. Premièrement parce qu'il se peut comme mentionné plus haut, que ce texte corresponde à leurs attentes. Deuxièmement, si le oui l'emporte (scénario fort probable vu le déroulement des évènements) ils devront se plier au résultat. Il va sans dire que les partisans du « oui à tout prix », n'ont pas eux besoin de lire ou de débattre quoi que ce soit, car leur but principal est d'être parmi les premiers passagers du train. Ce sont les opportunistes. Et ils sont nombreux !
Alors dans cet imbroglio sans nom, qui a tort et qui a raison ? Kaïs Saïed a-t-il raison d'avoir fait ce coup de force politique et institutionnel pour débarrasser le pays, comme il le prétend, d'une menace qui se voulait imminente ? Des politiciens véreux, des mafieux et des corrompus de tous bords ? Cela fait des mois que l'on attende à voir. Mais le moins que l'on puisse dire, est que la pêche est maigre.
Et ses opposants alors ? Si d'abord on pourrait parler d'une vraie opposition forte, unie, structurée et ayant surtout des objectifs bien identifiés et une feuille de route acceptable. Le néant. Ou presque. Il n'y a qu'à jeter un coup d'œil sur les sondages d'opinion successifs, pour voir que malgré l'aveu d'une situation économique et sociale désastreuse, le « peuple qui veut » continue à donner en majorité du crédit pour le président en exercice.
Bien entendu, et encore une fois, et alors que nous nous retrouvons à débattre du sexe des anges, nous oublions l'essentiel, à savoir la manière avec laquelle il faudra sortir le pays du marasme économique qui le ronge et qui ne cesse de s'aggraver. Et si nous continuerons à récidiver dans nos erreurs, nouvelle constitution ou 3ème République resteront uniquement des titres rangés dans les tiroirs, en attendant qu'ils soient révisés ou tout simplement supprimés par les prochains détenteurs du pouvoir !