Le communiqué issu des travaux du bureau exécutif élargi de l'UGTT était très attendu sur la scène politique tunisienne. A la lumière du taux de participation enregistré lors des élections législatives anticipées et sur fond de critique permanente du gouvernement, l'UGTT s'est clairement positionnée contre l'appareil exécutif et promet de prendre toutes ses responsabilités afin de « sauver le pays ». Ça promet. La centrale syndicale a usé d'un ton très ferme dans le communiqué clôturant les travaux de son bureau exécutif élargi lors de sa réunion du 21 décembre. Certains y ont même vu une escalade et une préparation pour une franche confrontation avec le pouvoir en place. L'UGTT considère que le très faible taux de participation aux élections (11,22% selon le dernier chiffre de l'instance) est une « position populaire claire refusant les choix effectués ». Par conséquent, le syndicat condamne un cheminement qui n'a apporté au pays que davantage de crises et de catastrophes. Il se permet également de qualifier plus clairement les principales étapes de ce cheminement débuté le 25 juillet 2021 en évoquant un « changement forcé de la constitution orienté vers l'instauration d'un régime présidentialiste fermé ». L'UGTT critique également une loi électorale inadéquate et des élections « sans goût ni couleur ». Le bureau exécutif du syndicat conclut le premier point de son communiqué en déclarant qu'il n'est plus possible de se taire devant cette situation qui requiert que l'UGTT prenne ses responsabilités nationales et participe, avec les forces nationales, à « sauver le pays selon des objectifs nationaux clairs et une feuille de route fixée ». Autant dire qu'un gros caillou a été jeté dans la mare par l'UGTT qui évoque la nécessité de sauver le pays de la situation dans laquelle il se trouve. En un peu plus d'un an, la centrale syndicale a changé de position vis-à-vis du 25 juillet et du chemin entrepris unilatéralement par le président de la République. D'un soutien prudent, l'UGTT est passée à une critique ouverte du processus estimant qu'il s'agit d'un danger pour le pays. Il faut dire aussi que le régime en place depuis cette fameuse date du 25-Juillet n'a rien fait pour infléchir les positions de la puissante centrale syndicale. Plusieurs initiatives de dialogue présentées par la centrale ont été purement et simplement ignorées, voire moquées, par le président de la République. De l'autre côté, un gouvernement sourd et muet a été placé à la tête du pays et il n'a jamais été en mesure d'instaurer un véritable dialogue avec la partie syndicale. Le cerise sur le gâteau a été le fait que plusieurs ministres ont déclaré que la Loi de finances 2023 ou le programme de développement ont été élaborés en collaboration avec l'UGTT, ce que le syndicat s'est empressé de démentir. Le tout dans un contexte de grave crise économique et sociale.
Il est vrai que l'on pourrait reprocher à l'UGTT d'avoir largement pris son temps avant de fixer une telle position. Il n'en reste pas moins que la centrale syndicale aura quand même eu le mérite de publier une position officielle, contrairement à d'autres organisations de la société civile qui se contentent d'un silence lâche et complice. L'UGTT a également le mérite, à travers cette prise de position, de ne pas laisser de place à la tergiversation et de parler d'une voix haute et claire : le temps de la confrontation est venu puisque ce régime n'a pas la subtilité nécessaire pour comprendre toutes les mises en garde envoyées par la centrale syndicale durant les derniers mois. Il ne fait plus de doute que l'UGTT aujourd'hui considère être devant un régime qui prépare le despotisme et la dictature tout en négligeant de façon éhontée l'aspect économique et social. Il est vrai que le fait de ne pas avoir été associé à l'élaboration d'un programme de réforme et d'être tenu à l'écart des négociations avec le FMI a fini de rompre une confiance déjà très entamée entre le gouvernement et le syndicat par, notamment, le décret n°20. Mais il était simplement inconcevable de croire que la centrale syndicale pourrait rester inerte devant un programme qui impliquerait une levée, même progressive, de la compensation et la privatisation de certaines entreprises publiques. Sur un plan purement politique, le taux de participation dérisoire enregistré lors des élections législatives a été le point d'inflexion réel de la position de l'UGTT. Avec seulement 11,22% d'électeurs, la centrale syndicale s'est assurée que le processus du 25-Juillet a perdu le soutien populaire exprimé ce jour-là à coups de klaxons dans les rues. Par conséquent, c'est le chef de l'Etat, Kaïs Saïed, qui a perdu son assise populaire et donc la seule justification par laquelle il avait pris toutes ses décisions. L'UGTT a compris que l'opinion publique tunisienne avait lâché Kaïs Saïed à cause de son individualisme, de son entêtement et de l'inexistence de réalisations tangibles. Le message envoyé par les Tunisiens, en s'abstenant de participer à des élections qui ne les concernaient pas, a été clairement capté par l'UGTT. Cette dernière s'est immédiatement alignée sur cette position en appelant au sauvetage national. Par conséquent, l'UGTT bat le rappel des troupes et prépare ses affiliés à une large mobilisation nationale sur terrain. Le temps ne semble plus être aux communiqués et aux initiatives. Reste maintenant à savoir comment la centrale syndicale envisage le sauvetage national et s'il peut s'articuler en présence ou avec la participation du président Kaïs Saïed. Certains observateurs ont appelé à un dialogue national à l'image de celui organisé par le quatuor en 2013 pour sauver le pays des méandres d'un affrontement entre franges partisanes. A l'époque, déjà, le dialogue national qui a abouti à l'obtention d'un prix Nobel de la paix s'était fait sans le président de la République de l'époque, Moncef Marzouki. Un tel scénario pourrait-il être envisageable aujourd'hui ? L'UGTT ne répond pas à cette question pour le moment, mais il ne faut pas oublier que Kaïs Saïed n'a raté aucune occasion pour démontrer qu'il n'était pas un homme de consensus et de dialogue.
C'est un adversaire de poids que le régime en place s'est mis progressivement à dos. A lire le communiqué publié par la présidence de la République le 19 décembre, il semblerait que le président de la République, Kaïs Saïed s'emmure de plus en plus dans son entêtement à faire réussir un processus sans consistance. Même les partis qui ont défendu mordicus les décisions et les prises de position les plus loufoques, comme le mouvement Echaâb, commencent à réviser leur positionnement. Même s'il refuse pour l'instant de le voir, le régime de Kaïs Saïed a bien plus d'adversaires que de soutiens à l'heure actuelle. Pendant ce temps, la crise économique et sociale s'approfondit, l'endettement explose et le pouvoir d'achat du Tunisien s'érode.