Il est désormais entendu qu'à l'instar de ses prédécesseurs, le président de la République Kaïs Saïed privilégie l'allégeance à la compétence quand il s'agit de nommer les hauts cadres de l'Etat. Dans cette optique, il est difficile pour lui de trouver une meilleure équipe que celle de Najla Bouden. Toutefois, cela n'empêche pas d'apporter quelques modifications à cette équipe tout en maintenant son esprit général que la cheffe du gouvernement incarne à merveille. Najla Bouden avait reçu, le 30 janvier dernier, la visite de son patron au palais de la Kasbah. Au lendemain du deuxième tour d'élections législatives boudées par les Tunisiens, cette visite a été perçue comme une confirmation de la cheffe du gouvernement. Kaïs Saïed est apparemment satisfait de la prestation de Najla Bouden puisqu'il a martelé qu'il allait continuer sur le même chemin et poursuivre la même démarche. Donc, pour Kaïs Saïed, Najla Bouden est intouchable au poste de cheffe du gouvernement. En plus, elle accepte d'être reçue dans une salle de réunion du palais, au lieu du bureau présidentiel, et elle n'assiste même pas aux cérémonies de prestation de serment des ministres nommés par le chef de l'Etat et censés travailler sous ses ordres.
Cependant, le président de la République semble s'être engagé dans un remaniement ministériel au compte-gouttes. Il va sans dire que les limogeages ainsi que les nominations ne sont ni expliqués, ni communiqués correctement. Cela a commencé le 6 janvier avec le limogeage de la ministre du Commerce, Fadhila Rabhi et son remplacement par Kalthoum Ben Rejeb. Ensuite, ce fut autour du ministre de l'Education, Fethi Sellaouti, de céder son poste à l'ancien syndicaliste Mohamed Ali Boughdiri. Le ministère de l'Agriculture a également changé de titulaire puisque Abdelmomen Belati a remplacé Elyes Hamza. Dernier limogeage en date, celui du ministre des Affaires étrangères, Othman Jerandi, le 7 février, et son remplacement par Nabil Ammar. C'est sans ménagement aucun que les ministres en question ont été priés de quitter leurs bureaux. La moindre des politesses, le niveau minimum d'élégance exigent que le titulaire du poste n'apprenne pas son limogeage par voie de presse. Quoi que l'on puisse penser de leur prestation ou de leur bilan, il s'agit de commis de l'Etat qui se sont dévoués à son service et qui méritent un minimum d'égards de la part de leur hiérarchie. Il est plus que sûr que le bilan de Othman Jerandi à la tête du ministère des Affaires étrangères est pour le moins mitigé. Il s'est conformé en tout point à la volonté suprême de son président Kaïs Saïed même s'il s'agit d'aberrations. Il en a avalé des couleuvres Othman Jerandi et pourtant cela n'a pas sauvé son poste. On se remémore sa posture quand il est en face du président de la République quand ce dernier se met à discourir. On se rappelle de certaines inexactitudes comme celle concernant la commission de Venise. Mais tout cela ne justifie pas la manière dont a été limogé Othman Jerandi. Les ministres restants de la première mouture du gouvernement de Najla Bouden devraient considérer que le même sort les attend, malgré leur allégeance au président. Par ignorance ou par simple mépris, l'Etat, sous l'ère de Kaïs Saïed, n'est plus reconnaissant envers ses serviteurs et ne met pas les formes quand il s'agit de limoger des ministres. Il est fort probable qu'à un moment donné, lorsque le président de la République jugera qu'ils ne sont plus performants ou qu'il a besoin du poste pour récompenser des amis ou envoyer des messages à certaines organisations, il virera un ou deux ministres de façon humiliante.
A un niveau plus politique, il semble que Kaïs Saïed va garder la même mouture gouvernementale chapeautée par Najla Bouden. Les récents changements à la tête de plusieurs portefeuilles démontrent qu'il n'y aura pas de remaniement ministériel à grande échelle dans les prochaines semaines conformément à la nouvelle donne politique issue des élections législatives. Ainsi, Kaïs Saïed douche les ambitions de partis comme le mouvement Echaâb qui réclame la mise en place d'un gouvernement politisé sur la base des nouveaux équilibres au sein du parlement. Kaïs Saïed n'a cure de ces équilibres et ne conçoit, en aucune façon, le fait de devoir se soumettre à certaines réalités. De plus, le président de la République, qui prône une nouvelle approche, ne va pas recréer le jeu politique qui avait pour théâtre le parlement précédent. Au vu de sa popularité en baisse, il ne se risquera pas à ce que la populace puisse penser que les postes sont distribués en fonction de calculs politiques mesquins, comme cela se passait avant. Le soutien inconditionnel aux décisions du président de la République et les heures passées à parcourir les plateaux pour justifier les actes et les paroles de Kaïs Saïed ne seront pas suffisants pour décrocher une bribe de pouvoir. Kaïs Saïed n'est pas du tout partageur.
Kaïs Saïed considère ses ministres et sa cheffe du gouvernement comme de simples auxiliaires chargés de mettre ce qu'il dit en pratique. Quand il considère, par exemple, que les problèmes d'approvisionnement des Tunisiens proviennent d'un sombre complot entre opposants politiques et spéculateurs, il s'attend à ce que ses ordres soient appliqués à la lettre et à voir des gens entrer par dizaines en prison. Ce ne sont plus des ministres de la République mais plutôt des employés soumis au bon vouloir du président de la République à qui ils rendent comptent. Sur ce point au moins, Kaïs Saïed était clair dès le début avec son décret 117. Ceux qui ont accepté d'intégrer le gouvernement de Najla Bouden n'ont qu'à assumer, baisser la tête devant le président et accepter de recevoir ses préceptes.