Ahlem Bousserwal, secrétaire générale de l'Association des femmes démocrates (ATFD), a été libérée samedi après une nuit passée au centre de détention de Bouchoucha. Elle avait été arrêtée dans la soirée du vendredi pour outrage à un fonctionnaire public et résistance aux forces de l'ordre. Bien entendu, il n'y avait d'outrage que dans la tête de ceux qui l'ont privée de sa liberté. Elle s'est juste insurgée en citoyenne libre et responsable, contre le fait de lui interdire l'accès à un poste de police pour y déposer une plainte. D'ailleurs, le juge d'instruction qui l'a relâchée s'est trouvé devant un dossier pauvre, sans indices ou preuves concernant un supposé outrage à un fonctionnaire ou un quelconque signe de résistance aux forces de l'ordre. Bref le dossier était vide et n'aurait jamais dû exister.
Le cas Ahlem Bousserwal a estomaqué une large frange de l'opinion publique parce qu'elle était une militante connue et appréciée d'une part, et parce que les raisons présentées pour son arrestation étaient trop grossières et ne collaient pas au personnage d'autre part. Mais le cas d'Ahlem Bousserwal n'est malheureusement pas un cas unique. Des milliers de Tunisiens anonymes subissent chaque jour l'arbitraire des agents de l'ordre sur la route, la voie publique ou à l'intérieur des locaux de la police. Les citoyens tunisiens rechignent de plus en plus à aller à un poste de police même pour y déposer un dossier ou pour y récupérer un document administratif.
Dans ces lieux lugubres, les Tunisiens se sentent mal à l'aise, agressés par des regards malveillants, des mots désobligeants et des comportements agressifs. Celui qui ose rouspéter, exiger le respect de sa condition de citoyen, résister à cet arbitraire devient vite la cible des policiers présents, toujours solidaires et prêts à faire de cet « insurgé » un exemple pour les autres citoyens présents afin qu'ils apprennent à « respecter l'autorité ». Parfois, les choses dégénèrent et des citoyens se trouvent tabassés par des policiers à l'intérieur même d'un poste de police pour avoir réagi à un mauvais comportement de la part de l'un des agents. Sinon, il y a cette accusation fourre-tout d'outrage à un fonctionnaire et résistance aux forces de l'ordre. De préférence, cette accusation est utilisée à la veille d'une fête ou au cours des weekends pour allonger le séjour de l'accusé au centre de détention de Bouchoucha, le pire lieu où un être humain peut se trouver.
Au début de la révolution, on avait cru pourtant qu'il était possible de tourner la page de l'arbitraire policier et de s'engager dans la voie d'une police républicaine. La collaboration entre la société civile et des syndicats de policiers avait permis une amélioration des rapports sur le terrain entre les forces de l'ordre et les citoyens. Malheureusement, parce que le ministère de l'intérieur est resté au centre des querelles politiques, le processus vers une police républicaine a été stoppé depuis quelques années et on observe désormais un retour de l'arbitraire policier et un renforcement du sentiment d'impunité chez les agents, comme au bon vieux temps de la dictature.
Mais le cas d'Ahlem Bousserwal, ni le cas des milliers d'autres citoyens anonymes n'auraient pas existé si les adjoints du procureur avaient assumé leurs responsabilités et joué leur rôle. Il est clair que les adjoints du procureur en Tunisie sont trop laxistes, paresseux pour beaucoup et spongieux face aux policiers. Leurs décisions concordent trop souvent avec l'appréciation des policiers ce qui conduit à des situations ahurissantes de passe droit, le tout au nom de la loi. La magistrature tunisienne passe peut-être par la pire crise de son histoire. Elle a une bataille farouche à mener pour son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Mais en parallèle avec cette bataille qui trouve un large soutien auprès des Tunisiens, la magistrature se doit de mener d'une manière concomitante, une autre bataille in vitro contre la corruption, l'incompétence et pour le respect de la loi, de la justice et de l'équité.
Avec des magistrats compétents et conscients de leurs responsabilités envers la société, les agents de polices retrouveront très vite leur statut de fonctionnaires chargés d'appliquer la loi. Les situations d'arbitraires seront des situations exceptionnelles et non la règle comme c'est le cas aujourd'hui.