Changement climatique, stress hydrique, des précipitations rares, des barrages vides… La campagne agricole s'annonce rude. Les agriculteurs, les consommateurs et l'économie nationale risquent d'en pâtir. L'Etat, lui, reste immobile, pourtant, les stratégies ne manquent pas.
Les barrages de la Tunisie affichent, actuellement, un taux de remplissage de 27%. Ceux qui souffrent le plus du manque de pluie extrêmement prononcé cette année sont les barrages du Cap Bon où la majorité des terres cultivées sont irriguées. Selon les chiffres avancés par le membre de l'Union tunisienne de l'agriculture et de la pêche (Utap), Bayram Hamada, le plus grand barrage de la Tunisie, Sidi Salem, n'est rempli qu'à 31,5% et les barrages du Cap Bon à 7%. « La situation est grave », a-t-il affirmé au micro de Jihene Miled sur Mosaïque Fm lundi 18 septembre 2023, notant que les quantités d'eaux collectées dans les barrages après les précipitations de mai et de juin ont été consommées.
Cette situation déjà préoccupante ne fait qu'empirer. D'après le dernier rapport de l'Observatoire national de l'agriculture (Onagri) publié en août, le taux de remplissage des barrages était de 36,6%. Le dispatching des réserves en eau est de 91,6% dans le Nord, 7,8% dans le centre et 0,6% au Cap Bon. Les apports en eau dans les barrages tunisiens se sont situés à 686,7 millions de m3, en baisse de 63,16% par rapport à la moyenne de la période et de 37,53% par rapport à la même période un an auparavant, sachant que 92,3% de ces réserves proviennent du Nord, 7,3% du Centre et 0,4% du Cap Bon.
Avec un déficit pluviométrique de plus de 50% et des réserves hydriques minimes, la Tunisie entame un quatrième épisode de sécheresse. Une sécheresse accentuée notamment par les aléas du changement climatique dans un pays semi-aride. Face à cette situation, l'Etat demeure, tout de même, immobile. Les responsables restent bloqués face à la réalité du terrain, selon le responsable de l'Utap Bayram Hamada. On ne peut rien, à son sens, contre la Nature.
La succession des épisodes de sécheresse n'est pas chose nouvelle. Plusieurs stratégies d'atténuation et de prévention des risques ont été élaborées mais rien de concret ne semble être entrepris, sauf le rationnement de l'eau potable. Pour les autorités tunisiennes, la solution la plus plausible, pour le moment, est de couper l'eau aux abonnés de la Société nationale d'exploitation et de distribution des eaux (Sonede) pendant quelques heures la nuit ou la journée, tout dépend de la zone concernée par le plan d'austérité hydrique que l'entreprise publique aurait mis en place conformément aux instructions du ministère de tutelle. Le ministère de l'Agriculture avait, rappelons-le, ordonné un système de roulement conjoncturel pour l'approvisionnement en eau potable, au lieu d'accélérer l'adoption du Code des Eaux. Ce texte attendra, lui, encore longtemps, de toute évidence, dans les tiroirs de l'Assemblée des Représentants du Peuple. Révisé, il devait être soumis à la présidence du gouvernement pour un examen en conseil des ministres, selon une annonce faite en janvier 2023 par l'ancien ministre de l'Agriculture, Mahmoud Elyes Hamza. L'un des objectifs annoncés alors était la lutte contre le forage anarchique des puits et l'organisation des activités des groupements hydriques. Elaborée depuis belle lurette et mentionnée dans le Plan national « fantôme » sur la sécheresse, il n'est encore que paroles en l'air. Entre temps, ce sont la campagne agricole, les agriculteurs et les consommateurs qui risquent gros face à la prolongation de la sécheresse due au déficit pluviométrique doublé d'une gestion non-durable des ressources hydriques. Les épisodes prolongés de sécheresse affectent plusieurs secteurs et sous-secteurs et, sur un plan plus large, l'ensemble de l'économie du pays. Leurs répercussions peuvent être plus graves quand ces épisodes se produisent en pleine saison des pluies. Ils « soumettent les cultures à des stress hydriques et peuvent provoquer une baisse notable de la production agricole, notamment lorsqu'elles interviennent pendant les phases sensibles du cycle végétatif », selon le Plan national sécheresse datant de novembre 2022. La céréaliculture est, sans doute, le premier sous-secteur agricole à en souffrir. Il « occupe une place importante dans l'agriculture tunisienne avec une superficie moyenne emblavée de 1,5 millions d'hectares par an soit près du tiers des terres cultivées ». « Pendant les années de sécheresses, les superficies peuvent chuter jusqu'à 1,1 millions d'hectares et les productions jusqu'à cinq millions de quintaux. Un autre paramètre qui est encore plus représentatif de l'impact de la sécheresse sur les céréales concerne les superficies récoltées qui elles aussi peuvent chuter jusqu'à 60% des superficies emblavées pendant les années déficitaires; ce qui représente une perte économique importante sur l'investissement des agriculteurs », lit-on dans le document.
Un risque qui n'est pas à négliger dans un pays qui importe, cette année, 100% de ses besoins en céréales, alors que son déficit budgétaire se creuse de plus en plus, sans parler des répercussions de la guerre russo-ukrainienne sur le marché mondial des céréales ; ces deux nations représentant à elles seules 30% des exportations mondiales de blé. Cette calamité naturelle qu'est la sécheresse peut aussi impacter l'oléiculture tunisienne. « Avec le prolongement de la sécheresse, ce sont les oliviers cultivés en zones marginales qui souffrent en premier. C'est ensuite l'arbre même qui risque d'être affecté », bien que l'olivier soit connu pour sa résistance face au déficit hydrique, indique le Plan national sécheresse. L'impact se fait déjà ressentir avec une huile d'olive qui se vend à 25 dinars le litre en vrac. En août 2023, le vice-président de la chambre régionale des propriétaires de huileries de Sfax, Morsi Chaâbane, a annoncé, en plus, une récolte moins bonne que celle de la dernière saison en raison des épisodes de sécheresse que connaît le pays. De même pour l'élevage, l'irrigation, et les ressources en eau de surface, les eaux souterraines, et l'eau potable en milieu rural en particulier. « Les baisses des niveaux d'eau dans les forages, le tarissement des puits de surface et des sources naturelles et l'augmentation de la salinité de l'eau sont autant de conséquences qui provoquent des difficultés et des discontinuités dans l'approvisionnement. Les ménages sont contraints de recourir à des sources plus lointaines et souvent moins sécurisées s'exposant aux risques sanitaires ou au mieux à acheter des citernes d'eau à des coûts très élevés pour leur budget. Avec ces alternatives, ce sont les femmes qui sont le plus pénalisées car ce sont elles qui ont la charge de collecter l'eau et seront donc amenées à parcourir des distances plus élevées. En outre, la fragilisation économique des ménages se répercute sur une augmentation de l'abandon scolaire des filles au premier ordre », explique-t-on dans le Plan national sécheresse. Et pourtant, le pays reste sans « dispositif scientifique de prévision de la sécheresse », primordial pour la mise en œuvre de cette stratégie nationale.