Pour le président de la République, Kaïs Saïed, tous les moyens sont bons pour préserver la décision et la souveraineté nationales. Tarir les sources de financements étrangers pour les associations n'en est qu'un. Une proposition de loi issue d'un nombre de députés, dont les termes s'alignent avec la volonté du locataire de Carthage, est d'ailleurs en examen au Parlement. Ce projet devrait remédier aux « nombreuses lacunes » du décret-loi n°88 relatif aux associations, notamment la question des financements étrangers. « Le décret n° 88 autorise explicitement les associations à obtenir des financements étrangers, puisque le chapitre 34 précise que les ressources sont constituées des cotisations des membres, des aides publiques, des dons, cadeaux, legs, nationaux ou étrangers, et des revenus provenant des biens, des activités des associations, et de leurs projets. Le décret ne prévoit, cependant, pas de contrôle sur les financements étrangers, ce qui a entraîné un flux de sommes d'argent énormes qui ont été utilisées pour servir des agendas hostiles au pays. Il a, également, été constaté que certaines associations n'étaient qu'une couverture pour financer des partis politiques et des bras pour des lobbies et des pays étrangers qui veulent s'immiscer dans la décision souveraine et imposer des agendas politiques, sociaux et économiques à travers ces associations, surtout que le décret n° 87 de 2011, relatif à l'organisation des partis, interdit, dans son article 19, 'de recevoir directement ou indirectement, des fonds en espèces ou en nature, d'une entité étrangère' », lit-on dans la page consacrée aux objectifs du projet de loi. « Etablir un contrôle sur les financements étrangers, ce que ce projet vise à réaliser, découle de la volonté de préserver la souveraineté nationale, car un soutien financier est généralement accompagné de conditions, d'instructions et de compromis », ajoute-t-on, précisant par la même occasion que « cette loi ne vise en aucun cas à restreindre les libertés, car les porteurs de ce projet sont parmi les plus attachés à ces droits » et s'inspire des expériences de plusieurs pays arabes et dont certains, notons-le, sont encore à des années-lumière de l'avant-gardisme tunisien en matière de libertés et de droits de l'Homme. Ce draft qui dit s'ériger, selon ses élaborateurs contre le décret 88 devenu, à leur sens, « une source de législation sur la corruption, la propagation des réseaux terroristes et le blanchiment d'argent », et qui se veut « protecteur des droits » bascule, contrairement à ce qu'on avance, dans un contraste indubitable. Si la proposition est votée et approuvée par le Parlement de Brahim Bouderbala, le financement étranger ne sera, en effet, autorisé que pour des activités à caractère humanitaire et après l'obtention de l'approbation des structures officielles, en l'occurrence la direction générale chargée des associations auprès de la présidence du gouvernement. D'ailleurs, on explique, qu'il faudrait « veiller à ce que chaque association nationale soit affiliée au ministère compétent en fonction de son activité » et que toutes les associations nationales soient exclusivement financées, entre autres, par des ressources publiques et nationales, dans un pays où l'Etat peine à payer ses salariés et régler ses factures d'achat à l'importation, croule sous les dettes et négocie avec le Fonds monétaire international pour boucler son budget. N'est-ce pas là une tentative de supprimer de la carte de la société civile ? Bon nombre d'organisations ; celles dont les activités sont politiques, celles dotées d'un imaginaire démocratique et qui ont été à la pointe du combat sous les précédentes législatures pour veiller à ce que le peuple tunisien jouisse un jour de « la liberté et la dignité » qu'il a criées et arrachées un 14 janvier 2011 ne seront-elles pas visées ? À l'aube de la révolution, en l'absence de financements publics, ce sont les colossaux fonds étrangers – européens et autres – qui ont permis la création d'observatoires et d'organisations indépendantes pour veiller à la transparence des processus électoraux et la conformité des lois avec les engagements de la Tunisie en matière de droits de l'Homme… N'est-ce pas là une tentative d'avoir un droit de regard sur la société civile, une tentative d'occulter davantage les pratiques d'une politique déjà opaque qui prétend savoir « ce que veut le peuple » ? Une politique qui, par son projet de révision du décret-loi 88, assure, aussi, « rompre totalement avec le chaos et le démantèlement des structures de l'Etat, pour s'inspirer de la constitution de 2022 fondée sur la souveraineté nationale » ; une constitution née, elle-même, de la plume du seul homme de Carthage dans un contexte politique chaotique installé sur les débris d'une démocratie naissante dont les composantes – déjà effritées – ont été balayées par un putsch, un 25 juillet 2021. Les restrictions prévues, dans la proposition de loi, ne s'arrêtent pas là. Elles touchent, également, aux domaines d'activités des associations. Stipulant, « garantir l'engagement des associations à ne pas violer les lois relatives aux bonnes mœurs », il vient « interdire la création d'associations sur la base d'orientations religieuses ou sectaires ». N'est-ce pas là un risque de voir disparaitre plusieurs associations actuellement actives en Tunisie pour la défense des droits des minorités à commencer par les organisations de défense des droits de la communauté LGBTQ, pour n'en citer que celles-ci ? N'est-ce pas là un coup dur qui se prépare pour une minorité persécutée dans un pays où l'homosexualité est encore pénalisée (tout rapport anal tombe sous le coup de la loi du fait de l'article 230 du Code pénal) ? N'est-ce pas là un retour aux années sombres du régime de l'ancien président de la République, Zine El Abidine Ben Ali, qu'on pensait révolues ? N'est-ce pas là une énième tentative de diaboliser le contre-pouvoir, de museler les garde-fous de la démocratie ?