Tout le monde dit et répète à satiété que les Etats n'ont pas d'amis ou d'ennemis permanents, ils n'ont que des intérêts permanents, paraphrasant ainsi Henry John Temple dans son discours devant la Chambre des Communes britannique en 1848. Quel que soit l'angle par lequel on analyse cette citation on finit systématiquement par admettre le caractère direct, froidement pragmatique et d'une certaine manière « honnête » de cette lecture des relations internationales. Si l'on remonte encore un peu plus dans le temps, les civilisations babylonienne, égyptienne, grecque, romaine et musulmane ont toutes été encadrées par le même paradigme des intérêts permanents. Plus récemment, les Traités de Westphalie (1648) conclus entre empires ennemis avaient démontré qu'une paix n'était possible que quand la guerre ne parvenait plus à garantir les intérêts. Ce qui sous-tend en filigrane ces relations entre Etats-nations, c'est le principe fondateur des rapports de force. Les Empires se font et se défont en fonction des rapports de force. Rapports de force vs émotions, principes, valeurs, droit, …. La citation de Henry John Temple, heurte la conscience humaine fondée sur la prévalence des droits. Depuis la révolution française et la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 renforcée le 10 décembre 1948 à l'issue de la 2e guerre à travers l'ajout du concept d'universalité (homme et femme) et de citoyenneté, les valeurs, les principes et le droit étaient censés immuniser l'humanité contre toutes les formes d'abus et de violations de l'intégrité physique ou morale des humains. Henry John Temple nous extirpe à nos illusions sur les humains et les valeurs qui sont censées régir les rapports entre eux. Il nous ramène à une réalité crue, brutale et hautement réaliste, non sans un certain cynisme venant d'un chantre de l'impérialisme britannique. En nous administrant un tel choc émotionnel, Temple nous rappelle, néanmoins, le principe fondateur des relations internationales qui est la force. Une force qui aujourd'hui peut revêtir plusieurs formes : militaire, politique, médiatique et financière. L'irruption fulgurante du médiatique comme paramètre fondamentale dans la gestion des rapports de forces, change toute la donne en raison des bouleversements économiques et sociaux que l'humanité a connus/subis depuis le début du 20e siècle. Cet arrière-fond historique illustre l'ampleur du décalage dans la compréhension des relations internationales entre, sommairement et sans nuances, un Occident, héritier de Machiavel, froidement rationnel, obsédé par l'accaparement et la conservation des richesses d'un côté et un Orient faisant la part belle à l'émotion. Un Occident schizophrène revendiquant haut et fort les valeurs et les principes pour mieux les contourner ou les utiliser selon les circonstances sans jamais se départir du principe de « l'intérêt » permanent. Merci M. Temple de nous avoir ramené aussi brutalement sur terre et d'avoir dissipé l'écran de fumée appelé droits de l'Homme qui nous empêchait de lire le monde tel qu'il a toujours été. Une fois qu'on a admis cette réalité où l'émotion, les belles paroles, les valeurs et même le droit, ne peuvent rien changer à un « ordre » mondial basé depuis des siècles sur les rapports de forces, on va pouvoir comprendre et analyser ce qui se trame devant nos yeux écarquillés à Gaza et bien au-delà des frontières de la Palestine.
L'Occident en ligne de mire Le génocide en cours à Gaza et le cortège d'indignation, de protestation, de révolte émotionnelle aussi bien en Occident que dans le reste du monde, ne changent rien à la règle des rapports de forces et la protection des intérêts des Etats-nations et de l'oligarchie mondialiste. Il est à noter que même le principe des Etats-nations est remis en question en faveur d'un mondialisme qui déconstruit les derniers remparts contre l'avènement du nouvel ordre oligarchique. À Gaza, les sionistes s'emploient pour parachever l'effondrement de toutes les valeurs universelles et principalement le Droit et le respect de la vie humaine. Tout doit s'effondrer en même temps pour qu'émerge sur les décombres de Gaza un nouvel ordre oligarchique régi plus que jamais par les rapports de forces. L'enjeu va bien au-delà d'un conflit territorial et économique. Il s'agit d'une réorganisation des rapports de forces et d'une redistribution des zones d'influences. Soumettre le Moyen-Orient dans son ensemble à l'hégémonie d'un Occident agressif parce qu'il redoute l'émergence d'un monde multipolaire et donc la remise en question de ses intérêts, n'est pas une tâche facile, mais elle est néanmoins faisable. En revanche, soumettre un Occident qu'on a biberonné aux valeurs des droits de l'Homme et à la contestation, voire la révolte, est une tâche bien plus ardue qui nécessite le déploiement de tous les leviers que le sionisme messianique détient, à savoir : le pouvoir médiatique, financier et politique dont la puissance militaire n'est que le bras exécutif. Le véritable enjeu consiste à faire taire, voire faire admettre à une opinion publique occidentale censée être réfractaire à toutes les formes de violation, une injustice qui heurte les rares consciences encore libres. Médias contrôlés, voix dissidentes harcelées et muselées, des législations liberticides envisagées et mises en œuvre, les fondamentaux d'une démocratie représentative déjà chancelante et à bout de souffle, sont remis en question. Après les privations de liberté sur fond de lutte contre le terrorisme et la sécurité sanitaire contre un virus, l'Occident est aujourd'hui face à une privation de la liberté d'opinion tout simplement. Le monde doit être lu et vu à travers la « pensée officielle », celle qui est fabriquée dans les officines des Spin Doctors et des agences de relations publiques. Si Gaza passe, tout passe. Plus rien, ni personne ne pourra alors se mettre au travers d'un nouvel ordre mondiale oligarchique rampant. La prédiction envisagée par Gilbert Achkar prend ainsi tout son sens, quand il a parlé dans son livre au titre prémonitoire de: « Domination totale ». On y est presque. Ingénierie sociale Après l'abrutissement généralisé des masses à travers un système éducatif soumis à l'impératif de la rentabilité et de l'utilitarisme, on a fabriqué des personnes qui au lieu de lire le monde et le faire passer au filtre de la pensée critique, sont devenues spectatrices faisant défiler le monde en mode « scroll » sans jamais s'arrêter. On a remplacé le penseur par le cliqueteur (the thinker vs the clicker) soumis à la cadence d'une machine de plus en plus performante qui fixe le tempo et mène la danse. « Rattrape-moi si tu peux » disait Leonardo Di Caprio dans le film du même nom, c'est bien ce monde de la vitesse et de la désynchronisation qui nous déshumanise et rend l'impensable possible. C'est bien cette déshumanisation, cette chosification de l'Homme que dénonçait Heidegger dans « L'être et le temps » que nous subissons aujourd'hui. Qu'importe le cri d'alarme lancé par M. Edgar Morin dans la cacophonie organisée par les ingénieurs de la manipulation des masses. Une telle voix est noyée dans une babelisation mondialisée qui empêche la pensée de germer. Rappelons-nous le mythe de la Tour de Babel et la sanction infligée par Dieu aux humains qui pensaient rivaliser avec lui. Au lieu de les empêcher de parler, il a multiplié les voix et les langues pour que les humains ne puissent pas parler d'une seule voix, défendre les mêmes principes et atteindre le même objectif. Il suffit de se connecter aux réseaux sociaux pour se rendre compte de cette babélisation, de cette cacophonie qui organise la division et empêche l'union des Hommes face aux nouveaux maîtres du monde propriétaires de ces mêmes médias. Deux siècles d'exercice des libertés, de déconstruction en vue de progresser sur le chemin de la justice et de la paix sont en passe d'être balayés et avec eux le peuple palestinien bouc-émissaire qui doit servir d'exemple à toutes les formes de résistance à l'avènement de ce nouvel ordre mondial oligarchique dominé par les « happy few ». Si Gaza passe, tout passe. Oubliez les institutions internationales, oubliez le droit international, oubliez les valeurs, les Traités, les Accords et surtout oubliez l'escroquerie du siècle appelée « communauté internationale ». Cet oxymore, cette aberration langagière, cette chimère, ce concept creux et difforme dont tout le monde parle et dont on n'a jamais vu ni les contours, ni la couleur, ni l'odeur et encore moins la substance. Mort-née et aujourd'hui bien enterrée sous les décombres de Gaza cette « communauté » de l'impuissance et de la soumission. Encore un autre qui doit se retourner dans sa tombe. Etienne de la Boétie qui croyait qu'il était possible d'être résolu à ne plus servir pour être libre. Il n'avait pas envisagé l'avènement d'Edward Bernays et sa Propaganda, de Facebook, de Twitter (X), de Tik Tok, d'instagram et de l'industrie du loisir (entertainment), des machines à broyer et aplatir les consciences et les empêcher de se forger. Tout le système concourt à fabriquer de l'impuissance pour que règnent les puissants. Nietzsche doit se retourner lui aussi dans sa tombe. Un Occident soumis et servile, témoin impuissant de la fin d'un cycle de l'histoire et l'avènement du temps de la soumission et d'un esclavage enrobé du miel de la consommation rapide : fast food, fast love, fast thinking, fast life. Pris dans ce tourbillon de vitesse cette supposée « communauté internationale » assiste impuissante à son enterrement et voit s'ériger devant elle le spectre de cette oligarchie mondialiste qui se paie le luxe de ne plus cacher ses intentions hégémoniques et tente même de les faire admettre comme l'unique ordre à même de garantir la survie des plus forts et des plus adaptés selon le principe du darwinisme sociale et économique. Si Gaza passe tout passe, une vérité qui dérange davantage en Occident que dans un Orient habituait depuis le dépeçage de l'Empire Ottoman à toutes les formes d'injustice et de domination. C'est en Occident que se jouent le nouvel ordre mondial et les nouveaux rapports de forces pour au moins les décennies à venir. Un Occident piégé par l'infamie de l'équation Etats-unienne du « avec moi ou contre moi », celle qui élimine les nuances et empêche l'émergence d'autres possibilités d'être. Un Occident sommé à renoncer à ses libertés pour « être du bon côté du manche ». Ce manche qui frappe sans vergogne ni limite à Gaza, en Irak, en Libye, au Yémen, en Afghanistan et demain peut-être en Occident lui-même. Vous êtes sommés de choisir votre camp, de quel côté de la barricade se tenir, parce que le rapport de force est binaire et sans équivoque. Plus concrètement, l'émotion, voire l'indignation ressenties à travers le monde n'ont d'équivalent que l'impuissance et la résignation qui nous affligent mais ne nous révoltent pas. Faute de révolte, le mieux qu'on puisse espérer, c'est de dorloter notre conscience étouffée. Dans quelques mois, le monde va passer à autre chose, l'épuration ethnique sera terminée, les survivants palestiniens déportés et relocalisés ailleurs, leur problème exporté chez les voisins. Seules les cicatrices vont subsister er serviront de matière à fabriquer d'autres narratifs rédigés par les « vainqueurs ». Les nouvelles zones d'influence vont se redessiner et les pays de la région du Moyen-Orient vont être sommés de choisir leur camp si ce n'est déjà fait. Le « remapping » géopolitique est en cours. Occident élargi à l'Australie et le Japon d'un côté, Chine et BRICKS de l'autre avec comme enjeu principal, les richesses du Moyen-Orient et de l'Afrique. Telle est la direction que prennent les affaires du monde malgré, bon gré et qui sous-tend les nouveaux rapports de forces. A moins d'un sursaut mondial capable de bouleverser la donne, rien ne pourra arrêter cette marche forcée vers l'instauration de l'ordre oligarchique. Cependant, il y a longtemps que j'ai cessé de croire aux miracles. Persiste alors, une vérité incontestable : si Gaza passe tout passe.
N.B. si vous avez lu cet article jusqu'au bout, c'est que vous êtes encore immunisé contre la dictature de l'image. Félicitations !