8 mars 2024. Le monde fête aujourd'hui la journée internationale des droits des femmes. Alors que des pays célèbrent la moitié de la société avec des législations historiques, le régime tunisien, lui, a une manière très personnelle de célébrer les femmes. Le 4 mars 2024, à l'issue du vote du congrès français, le droit à l'interruption volontaire de grossesse a été officiellement inscrit dans la constitution. Une première dans le monde. « Un message universel » a déclaré le président français, Emmanuel Macron. En Tunisie, la situation des femmes n'a pas enregistré d'avancée notable ces dernières années. Plus encore, au lieu d'honorer les femmes du pays, le régime maltraite ses militantes. En Tunisie, aujourd'hui, 84,7% des femmes tunisiennes déclarent avoir été victimes de violences physiques d'après une enquête de l'INS (Institut national de la Statistique). Près d'un tiers des femmes déclarent avoir subi au moins un épisode de harcèlement sexuel durant les douze mois précédant l'enquête et le nombre de féminicides a largement augmenté ces dernières années. Selon l'Association tunisienne des Femmes démocrates (ATFD), l'année 2023 a enregistré 27 féminicides en plus de ceux qui n'ont pas été déclarés. Jusqu'au 22 février 2024, cinq féminicides ont été déjà enregistrés.
Sur la scène publique, les choses ne vont pas mieux. Le régime continue de maltraiter ses opposants et les femmes font évidemment partie de l'équation. Parmi ces femmes maltraitées, deux avocates partagent le triste combat. Abir Moussi et Dalila Mbarek Msaddek. L'une est derrière les barreaux. L'autre est libre mais enchaînée à un combat qu'elle mène de front…parfois même au péril de sa propre santé.
Abir Moussi est dans le collimateur du régime. S'il voulait crier son hostilité sur tous les toits, il ne s'y prendrait pas autrement. L'arrestation de l'avocate et candidate du Parti destourien libre à la présidentielle et les affaires montées contre elle sont tellement grossières qu'elles laissent très peu de place à l'imagination quant aux desseins qu'il y a derrière. Abir Moussi est arrêtée depuis le 3 octobre dernier. Elle s'était rendue au bureau d'ordre du palais de Carthage, accompagnée de caméras, pour déposer une missive contre les élections à venir. Face au refus des agents de la présidence de lui remettre une décharge, elle a filmé une vidéo en direct pour prendre à témoin son large auditoire. Ce simple exercice démocratique a été perçu par le régime comme un affront et elle a été arrêtée manu militari. Aujourd'hui, Abir Moussi fait face à trois mandats de dépôt. Deux d'entre eux proviennent de plaintes déposées contre elle par l'Isie. On l'accuse d'avoir remis en doute l'indépendance et l'intégrité des élections mais aussi d'avoir critiqué son président Farouk Bouasker. Ces critiques sont formulées par l'ensemble de l'opposition et plusieurs médias. C'est pourtant Abir Moussi que le pouvoir a choisi de mettre derrière les barreaux pour avoir tout simplement exercé sa légitime liberté d'expression. Jusqu'à aujourd'hui, le régime cherche à maintenir Abir Moussi en prison et ne veut pas prendre le risque de la voir libérée. Depuis sa prison, Abir Moussi fait montre d'un courage exemplaire face aux interdictions de voir ses filles et aux mauvais traitements qu'on lui inflige.
Autre avocate, autre combat. Le 24 février dernier, Dalila Ben Mbarek Msaddek est entrée dans une grève sauvage de la faim. Une grève de la faim qui s'est soldée par son hospitalisation d'urgence au bout de trois jours et qui a suscité une grande vague de soutien. Désemparée, la grève de la faim de l'avocate était l'ultime moyen de contestation qu'elle a choisi pour exprimer son indignation et sa grande colère. À travers ce geste, elle conteste en effet les agissements de la justice à l'encontre de son frère, Jaouhar Ben Mbarek, condamné à six mois de prison suite à une plainte – encore - de l'Instance supérieure indépendante pour les élections sur la base du décret 54. Jaouhar Ben Mbarek est également détenu depuis près d'un an pour une accusation de complot contre la sûreté de l'Etat. Dans une vidéo publiée le 24 février 2024, Dalila Ben Mbarek Msaddek a déclaré désespérée : « Il n'avait pas cité l'Isie… Il n'a pas parlé d'élections truquées… Il n'a pas évoqué le fonctionnement de l'Isie… Il a juste considéré que les législatives de 2022 n'étaient pas un événement politique, mais une farce… L'audience a eu lieu sans que nous en soyons informés ». Pendant des mois, l'avocate n'a eu de cesse de dénoncer la grande injustice qui a entouré chacune des affaires dites de complot contre la sûreté de l'Etat, dont elle est membre du comité de défense. Pas seulement celle de son frère Jaouher mais aussi celles de chacun des détenus politiques arrêtés dans le cadre de la même affaire. À cause de ses prises de position, Dalila Ben Mbarek Msaddek a été auditionnée par le juge d'instruction plusieurs fois en septembre, novembre et décembre dernier, avant d'être finalement laissée en liberté. En octobre, le pouvoir s'est même attaqué à sa fille, interpellée par la police alors qu'elle rendait visite à son oncle en prison.
Si Abir Moussi est victime d'un harcèlement judiciaire manifeste, Dalila Mbarek Msaddek, elle, combat ce harcèlement qui touche plusieurs opposants politiques, dont figure son frère Jaouhar. Malgré cet acharnement, les deux femmes gardent le moral et tiennent debout face à l'injustice. L'une fait preuve d'une résilience sans faille depuis sa prison, l'autre préfère faire contre mauvaise fortune, bon cœur et use de sarcasme et d'humour afin de ne jamais taire sa voix. Abir Moussi et Dalila Msaddek ne sont pas les seules avocates, militantes ou même femmes tunisiennes à militer en ces temps de répression. Elles sont cependant représentatives du peu d'égard que le pouvoir exprime face aux femmes, mais aussi aux opposants de manière générale. Les violences dont les femmes sont victimes en Tunisie sont perceptibles dans bien des domaines, le pouvoir, trop occupé à mettre des gens en prison, semble ne pas vouloir les voir…