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Avec Kaïs Saïed, où va la Tunisie ? (1)
Publié dans Business News le 12 - 03 - 2024

C'est un titre que j'ai déjà employé il y a vingt ans dans une tribune critique à l'égard de Ben Ali et qui a été publiée par Jeune Afrique[1]. Mon article avait à l'époque excité l'opposition dite démocratique et exaspéré le régime dit autocratique. Piqué au vif, ce dernier avait alors suscité contre moi ses mercenaires, que mon défunt ami Mohamed Masmoudi appelait « les Fellaga de la plume »[2]. Notamment un universitaire rcédiste, qui a été chargé de me stigmatiser dans Jeune Afrique même, avec une tribune intitulée « Avec Ben Ali, la Tunisie sait où elle va. Mais où va le bateau ivre de Mezri Haddad ? » Comme ce dernier article est accessible dans les archives numériques de Jeune Afrique et via internet[3], ce qui n'est pas le cas du mien (!), voici l'un des passages incriminés et qui m'a valu l'ire du pouvoir :
« L'époque que nous vivons ne tolère plus qu'un seul parti puisse détenir tous les leviers du pouvoir… Et cela devrait concrètement se traduire par une amnistie générale, par un élargissement du champ des libertés publiques, par la création des conditions nécessaires à une participation politique plus active de l'opposition, par l'abolition de tous les mécanismes (visibles ou sournois) qui limitent la liberté d'expression et bloquent le développement de la presse écrite et audiovisuelle…au-delà du besoin vital d'oxygéner les rouages de l'Etat. »

De l'éternel recommencement
Vingt ans après, me voici dans la même situation où, seule ma conscience, m'oblige à prendre position sans acrimonie et sans litote. Prendre position et non guère me positionner politiquement car, à 62 ans passés, j'ai perdu mes illusions et avec elles, mes ambitions de jeunesse. Comme je le dis souvent, mon royaume n'est plus de ce monde ; je ne cherche plus la célébrité, j'aspire à la postérité, qui « rend à chacun l'honneur qui lui est dû », pour emprunter cette pensée à Tacite. A tout âge, chaque fois que la situation exigeait une prise de position pour la vérité et contre le mensonge, pour la justice et contre l'arbitraire, pour les droits de l'homme et contre la dictature, je n'ai jamais reculé. Que ce soit sous la présidence finissante et désolante de Bourguiba, ou sous le règne autoritaire de Ben Ali, ou encore sous la démocrature de tous les imposteurs qui lui ont succédé après la fumisterie révolutionnaire. A plus forte raison aujourd'hui, que le pays s'est installé dans une médiocratie de plus en plus despotique et que les Tunisiens, désenchantés, désespérés et paupérisés, ne savent plus à quel saint se vouer.
Je confesse avoir longtemps hésité avant de publier cette tribune. Non point par calcul politicien comme je le disais, ou par la convoitise d'une fonction éphémère, ni par la crainte de subir le glaive de Tibère, plus exactement l'épée de Hajjej Ibn Youssuf. Comme disait Tocqueville, « ce n'est donc pas sans y avoir mûrement réfléchi que je me suis déterminé à écrire…Je ne dissimule point ce qu'il y a de fâcheux dans ma position : elle ne doit m'attirer les sympathies vives de personne. Les uns trouveront qu'au fond je n'aime point la démocratie…les autres penseront que je favorise imprudemment son développement » ! Qu'importe donc si elle sera bien ou mal comprise, et si le prix à payer serait à nouveau l'exil. Le troisième et dernier !
J'ai hésité à la publier par espérance logique et rationnelle : chaque jour, chaque semaine, chaque mois, je me disais que Kaïs Saïed va finir par se comporter comme un président digne de ce nom, par apprendre les bonnes manières de diriger un Etat, qu'il allait se résoudre à s'entourer de vraies compétences, à former un gouvernement à la hauteur des périls géopolitiques qui menacent et des défis nationaux qui restent à relever. Mais le régime actuel échappe à toute rationalité, même s'il obéit à sa propre « logique ». Persuadé de son génie inimitable et de sa vocation messianique et eschatologique, enivré par le pouvoir et ses apparats, flatté par un ramassis de zélateurs et de courtisans, Kaïs Saïed n'a fait qu'aggraver une situation politique, économique, sociale, diplomatique et intellectuelle, qui était déjà en piètre état lorsqu'il a accédé en 2019 à la magistrature suprême, après huit années de bourdonnement et de palabres pseudo-révolutionnaires, d'amateurisme politique, d'indigence économique, de corruption endémique, de dislocation sociale, d'abrutissement médiatique et de dilettantisme diplomatique. Une destruction massive sans précédent dans l'histoire moderne du pays. Une destruction dont il faut clairement désigner les coupables, qui ne sont pas exclusivement les islamistes comme on le raconte souvent, mais également les gauchistes, les droit-de-l'hommistes, les syndicalistes, les panarabistes et les nidaïstes.
Du braquage des réserves stratégiques de la Banque centrale[4], aux détournements à leurs profits des différents crédits ou aides accordés à la Tunisie entre 2011 et 2019, en passant par le sac des ressources publiques pour arroser les islamistes, les gauchistes et les affairistes des droits de l'homme -tous supposés avoir été « persécutés » par l'ancien régime-, tout a été fait pour détruire en une décennie ce qui a été construit en un demi-siècle de dur labeur. Quoi que puissent prétendre les imposteurs et les pilleurs, d'une économie qui était prospère, prometteuse et même compétitive, comme cela a été factuellement démontré par un ancien gouverneur de la Banque centrale[5], la Tunisie est passée à une économie indigente, besogneuse et quémandeuse. Economiquement prospère, en effet, de 1989 à 2010, pays émergent de 2002 à 2011-malgré la corruption et la prévarication-, la Tunisie est désormais un pays en banqueroute financière, en dérive politique et en décomposition sociale, signes annonciateurs d'un nouveau tsunami qui pourrait replonger le pays dans une profonde discorde, susceptible d'établir au pouvoir -et cette fois-ci durablement- une nouvelle génération d'islamistes d'autant plus que leurs aînés ont fait leur mea culpa et appris de leurs erreurs. A moins, je l'espère toujours, d'une reprise en main sérieuse, responsable et immédiate, mieux vaut tard que jamais.
Les raisons de celui qui a tort !
Comme beaucoup de mes compatriotes lors des élections présidentielles de 2019, entre un candidat sans programme politique (Kaïs Saïed) et un programme politique sans candidat (Nebil Karoui), j'ai dû choisir : un homme intègre, professeur de droit constitutionnel, rcédiste de circonstance, révolutionnaire de contingence, souverainiste d'apparence, populiste d'obédience ; plutôt qu'un affairiste d'essence, publicitaire de compétence, folklorique d'expérience…bref, un Zelensky tunisien. Et comme un certain nombre d'intellectuels-patriotes, notamment Moncef Gouja, qui intitulait son article « Le 25 juillet, la mort d'une révolution »[6], j'ai cru avoir vu dans le retournement politique du 25 juillet 2021, que j'ai immédiatement et publiquement soutenu, et même dès l'élection de Kaïs Saïed en octobre 2019, cette reprise en main sérieuse, responsable et immédiate, c'est-à-dire « un sursaut républicain »[7], comme je l'ai appelé dans Le Figaro. Mais les différents événements depuis ont fini par corroder mon optimisme, fondé sur l'homme que j'ai cru connaitre. Premier acte décisif et corrosif, qui va commander tous les événements qui allaient suivre : la fuite en avant, ou plus exactement le retour en arrière ! En 2021, Kaïs Saïed avait le choix entre mettre un terme définitif à la mythologie et à la gabegie post-benalienne, ou entraîner le pays dans un second tour révolutionnaire. Otage de sa propre suffisance, soumis à des influences idéologiques antinomiques et d'un autre âge, les unes au nom d'un crétinisme léniniste ou d'un sectarisme trotskiste, les autres au nom d'un puritanisme salafiste, d'autres encore au nom d'un panarabisme verbal et verbeux, ou d'un passéisme crasseux, il a dû faire le second choix, celui de réaliser, enfin, les sacro-saints « objectifs de la révolution » sous le slogan populiste et populacier du peuple exige (الشعب يريد). Je reste pourtant intimement convaincu que les milliers de manifestants ne sont pas sortis le 25 juillet pour uniquement honnir les islamistes, mais aussi et surtout pour vomir la « révolution du jasmin », dont ils furent le dindon de la farce. A l'exception des politicards, des « journaleux », des « chroniqueurs », des « artistes », des « experts », des « intellectuelloïdes » … qui doivent leur naissance au décès de la République bourguibienne, plus aucuns Tunisiens ne croient au « printemps arabe », encore moins à ses bienfaits. Ni les femmes, ni les hommes, ni les vieux, ni les jeunes, ni les ouvriers, ni les patrons, ni les bourgeois, ni les prolétaires, ni les soldats ni les civils, ni les justiciers ni les justiciables… En 2011, le peuple criait famine, en 2024, beaucoup de Tunisiens font la queue pour un paquet de lait ou 1kg de farine, lorsqu'ils ne fouillent pas dans les poubelles pour se nourrir ! En 2011, l'emblème révolutionnaire était Travail-liberté-dignité nationale (شغل حرية كرامة وطنية), aujourd'hui le triptyque est affligeant : chômage-servilité-misère. A posteriori, la « révolution » se porte bien, c'est le pays qui va de plus en plus mal.
[1] « Avec Ben Ali, où va la Tunisie ? », Jeune Afrique, du 7-13 novembre 2004.
[2] Les Arabes dans la tempête, Paris, 1977. Militant destourien de la première heure, considéré comme étant l'un des principaux négociateurs de l'indépendance, Masmoudi a été ministre des Affaires étrangères (1970-1974), poste dont il fut limogé à la suite du projet d'unification tuniso-libyenne. C'est à lui que je dois mon retour en Tunisie en avril 2000 et ma réconciliation avec Ben Ali.
[3] https://www.jeuneafrique.com/60982/archives-thematique/avec-ben-ali-la-tunisie-sait-o-elle-va-mais-o-va-le-bateau-ivre-de-mezri-haddad/
[4] 5600 millions de dinars laissés par Ben Ali avant que les Américains ne jettent le président trahi dans un avion pour un exil sans retour ? 5600 millions de dinars comme fonds stratégiques dédiés aux futures générations.
[5] Taoufik Baccar, Le miroir et l'horizon. Rêver la Tunisie, Tunis, 2018.
[6] Moncef Gouja, « Le 25 juillet, la mort d'une révolution », L'Economiste Maghrébin du 19 juillet 2022, https://www.leconomistemaghrebin.com/2022/07/19/25-juillet-mort-revolution/
[7] Mezri Haddad, « Ce qui se passe en Tunisie n'est pas un coup d'Etat mais un sursaut républicain », Le Figaro du 27 juillet 2021, https://www.lefigaro.fr/vox/monde/ce-qui-se-passe-en-tunisie-n-est-pas-un-coup-d-etat-mais-un-sursaut-republicain-20210727


*Docteur en philosophie morale et politique de l'Université de la Sorbonne et ancien Ambassadeur auprès de l'UNESCO.
Dernier essai paru en Tunisie, La face cachée de la révolution tunisienne. 12 ans après le coup d'Etat déguisé, AC Editions, Tunis, 2023.


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