Deux détenus dans les prisons tunisiennes sont décédés durant les deux dernières semaines. Ces événements tragiques posent beaucoup de questions sur les conditions d'incarcération et la situation des prisons tunisiennes. Mais pas seulement. Il y a deux jours, un médecin psychothérapeute en détention provisoire est mort suite à la dégradation de son état de santé. Il avait des difficultés respiratoires signalées par sa famille et ses avocats, à la direction de la prison qui n'a pas trouvé utile de prendre cette information en considération. Elle n'a pas jugé nécessaire de lui donner ses médicaments ou de lui procurer une paillasse au lieu de le laisser dormir à même le sol. Le pouvoir judiciaire n'a pas trouvé utile lui aussi de répondre favorablement à la demande de sa mise en liberté provisoire. Le résultat a été irrécupérable et tragique. Un homme est mort alors qu'il aurait pu rester en vie s'il avait été mis dans un environnement moins hostile et malveillant. Ses amis, ses collègues, sa famille, ne comprennent toujours pas pourquoi ils l'ont laissé mourir alors qu'il était trop facile de le sauver. Ils ne comprennent pas pourquoi il y a eu cet acharnement contre lui pour le garder en détention provisoire alors qu'il ne présentait aucun danger ni pour lui-même, ni pour le cours de l'enquête judiciaire et encore moins pour l'ordre public.
Quelques jours avant, un autre détenu de trente cinq ans, incarcéré depuis plusieurs mois dans une affaire de droit public, est décédé lui aussi suite à la dégradation de son état de santé. Il avait attrapé dans la prison une grave maladie contagieuse qui a été traitée sommairement par le médecin de la prison. Visiblement, cela n'a pas été suffisant surtout que l'administration pénitentiaire ne répondait pas favorablement aux demandes répétées de son transfert à l'hôpital. Il en est mort. Mort parce que les médecins pénitenciers ne disposent d'aucuns moyens et pratiquent donc une médecine expéditive. Mort parce que l'administration pénitentiaire ne dispose pas de moyens et de personnel pour une bonne prise en charge des prisonniers. Mort parce que malheureusement dans notre pays, en prison comme en dehors de la prison, un prisonnier n'est pas considéré comme tout à fait l'égal de tout autre être humain. Il ne peut pas se prévaloir de ses droits humains, même les plus fondamentaux comme le droit de se soigner et de rester en vie.
Ces deux événements tragiques ne concernent pas des personnages publics ou des personnalités politiques. Ils sont liés à des citoyens jusque-là anonymes et posent les problèmes de la promiscuité dans les prisons et de l'explosion de la population carcérale. Mais derrière ce phénomène, il y a des magistrats à responsabiliser et une politique judiciaire qu'il devient urgent de réviser.
Les juges d'instruction sont les premiers à être montrés du doigt. Ils ont pris la fâcheuse habitude de signer très banalement, d'une manière presque mécanique et systématique les mandats de dépôt. Depuis de longues années, les Tunisiens qui se sont retrouvés dans le bureau d'un juge d'instruction, ont plus de chance d'être détournés en prison que de rentrer chez eux. Pourtant, il suffisait pour ces magistrats de considérer le mandat de dépôt comme une mesure exceptionnelle et d'appliquer vigoureusement les textes. Plusieurs milliers de détenus se retrouveraient en liberté et nous aurions des prisons moins congestionnées avec moins de problèmes.
Pour certains de ces magistrats, cette facilité à signer des mandats de dépôt s'explique par l'habitude. Pour d'autres, elle s'explique par la peur des représailles allant jusqu'aux mutations arbitraires ou même à l'éradication. Le pouvoir en place s'accommode à merveille avec cette chape de plomb qui s'abat sur la magistrature spoliée de son statut de pouvoir pour se limiter à une simple fonction judiciaire. Cela lui permet de consolider sa prise sur les sphères de la société, d'inhiber toute velléité et taire toute critique.