Une nouvelle déconvenue pour la liberté d'expression en Tunisie avec l'arrestation, pour deux fois 48 heures, du journaliste controversé Mohamed Boughalleb. M. Boughalleb est loin de faire partie de nos meilleurs journalistes, mais il ne figure pas, non plus, parmi les pires. Sur le plan purement factuel, le travail pour lequel il a été arrêté est professionnellement juste. Il avait une information exclusive et il l'a partagée avec ses auditeurs de Cap FM. Il a dit que le ministre des Affaires religieuses a voyagé, à plusieurs reprises, avec l'une des directrices de son département et celle-ci ne devrait pas faire partie de ces missions à l'étranger. Factuellement, il n'y a aucune diffamation. Mieux encore, le journaliste n'a pas donné le nom de la dame, il a juste révélé son poste. Dans un pays démocratique et civilisé, il y aurait eu un scandale sur cette dilapidation injustifiée des deniers publics, le parquet se serait emparé de l'affaire et le ministre aurait démissionné, tête baissée. Sous un régime autoritaire comme le nôtre, qui crie sur tous les toits être chantre de la lutte contre la corruption, on oublie les faits et on arrête celui qui a révélé le scandale. Montant au créneau, comme un seul homme, les propagandistes du régime sur les réseaux sociaux se sont cachés derrière la préservation des bonnes mœurs pour justifier l'arrestation de Mohamed Boughalleb. D'après eux, le journaliste a touché l'honneur de la dame, puisqu'il aurait insinué qu'elle avait des relations particulières avec le ministre. Faut-il rappeler à tous ces laudateurs zélés que l'insinuation ne figure pas dans le droit ? Que le droit ne punit que les faits, rien que les faits ? Que les procès d'intention n'existent pas dans le droit ? « Nous ne sommes pas dans un pays scandinave, nous sommes dans un pays arabo-musulman qui a ses coutumes et qui interdit de toucher à l'honneur d'une femme », répondent-ils en chœur, balayant d'un revers tous les principes du droit et les lois qui vont avec. Soit.
Oublions le ministre et oublions la dame de son département. Parlons en général. Que doit faire un journaliste quand il apprend qu'un ministre voyage, avec les deniers publics, avec une fonctionnaire qui n'avait rien à faire là ? Doit-il se taire et ne pas révéler le scandale ? Le discours des propagandistes du régime pourrait être audible quand un journaliste va chercher la petite bête dans la vie privée du ministre, mais il cesse de l'être quand il s'agit de deniers publics. Dans les pays démocratiques civilisés, une personnalité publique n'a pas de vie privée et tous ses faits et gestes sont scrutés par les médias. C'est excessif, je l'admets, mais c'est ainsi que les choses se passent à notre époque. Parce que nous avons nos spécificités culturelles (idiotes et éculées en majorité, soit dit en passant), il est compréhensible qu'un média n'aborde pas la vie privée des personnalités publiques (c'est le cas de Business News du reste), mais il est aberrant que l'on n'aborde pas les dilapidations de l'argent public et la corruption de ces commis de l'Etat qui sont payés de nos poches pour nous servir et non pour se servir. En faisant arrêter Mohamed Boughalleb, le régime se dénude une nouvelle fois et montre sa fragilité. Il a exposé encore davantage l'accompagnatrice du ministre et son honneur. Au début, seuls les quelques auditeurs de Cap FM ont entendu parler de l'histoire. Maintenant, grâce à lui, la Tunisie et le monde entier sont au courant de l'histoire de la dame et de son ministre voyageur. Par sa grande « intelligence », il transforme un journaliste controversé en héros, victime de la liberté d'expression et de l'autoritarisme d'un régime crépusculaire qui approche la fin.
Deuxième information de la semaine, le communiqué offensif de l'Ordre des avocats. Bien critique du régime, une première pour ce bâtonnier, il évoque en mots très clairs l'autoritarisme du régime, les injustices, les atteintes à la liberté d'expression, les violations des libertés, les ingérences dans les affaires judiciaires. Pendant un instant, on aurait cru à un sursaut tardif de Hatem Mziou. Mais il serait naïf de croire cela. Vieux de la vieille, l'avocat et ancien ministre Lazhar Akremi ne s'est pas laissé berner et a réagi au quart de tour, quelques minutes après la publication du communiqué, en s'interrogeant sur ce sursaut que l'on pourrait qualifier d'opportuniste. « D'abord, quelles sont les raisons de ce sursaut soudain ? Est-ce qu'il découle d'une nouvelle lecture politique ? Est-ce dans le sens de "défendre la liberté et réserver une place pour soi-même dans l'avenir, au cas où ?". Deuxièmement, quel est le rôle de Brahim Bouderbala en tant que père spirituel du bâtonnier dans la menace de changement de position par Hatem Meziou, passant d'un allié du pouvoir actuel à un critique mécontent, d'autant plus que Bouderbala souffre de négligence et de marginalisation, jusqu'à se voir retirer des avantages en nature ? De plus, est-ce que ce qui reste de la crédibilité du bâtonnier actuel est suffisant pour le rendre apte à diriger le barreau en tant que locomotive des droits et des libertés ? », s'est interrogé l'avocat et ancien prisonnier politique de ce régime. Les légitimes interrogations de Me Akremi ont retrouvé tout leur sens lundi 25 mars au matin avec une interview de Me Mziou accordée à Hatem Ben Amara sur Jawhara FM. Le bâtonnier y réitère son soutien au régime. En plein mois de ramadan, il met de l'eau dans son vin et rétropédale. Pourquoi le bâtonnier n'a pas persévéré dans sa nouvelle ligne ? Que s'est-il passé entre le communiqué publié jeudi et la déclaration lundi ? Des rumeurs, plein de rumeurs, toutes distillées par les propagandistes du régime. On a parlé de l'arrestation d'un ancien bâtonnier proche de Me Mziou. Intox. On a parlé du retrait de confiance de Brahim Bouderbala, président de l'assemblée, ancien bâtonnier et père spirituel de Me Mziou. Encore de l'intox. On a enfin convoqué le célèbre avocat Abdelaziz Essid, suite à une plainte déposée contre lui par Leïla Jaffel, ministre de la Justice, sur la base du décret 54 liberticide. Me Essid risque, ni plus ni moins, dix ans de prison et ce pour une simple critique (certainement justifiée) de la ministre.