Rien ne se fait selon les normes chez nous. La prochaine élection présidentielle ne fera pas l'exception : tout le monde en parle mais personne ne connait sa date exacte ou la loi électorale qui y sera appliquée et qui déterminera les conditions de concourir pour le poste suprême de l'Etat. Pour avoir une vision plus claire sur une échéance aussi importante pour le pays, n'attendez pas l'instance des élections, elle ne vous sera d'aucun secours car elle n'a pas encore reçu les directives. Quant au président Kaïs Saïed, il semble trouver un malin plaisir à faire durer, autour de la présidentielle, un flou qui n'a rien d'artistique. Loin s'en faut.
Cela ne l'empêche pas de continuer sa campagne électorale sur les chapeaux de roue. Hier encore, il s'est déplacé à Monastir à l'occasion de la commémoration du 24e anniversaire de la mort du premier président de la Tunisie, le leader Habib Bourguiba. Avec Abir Moussi, qui malgré son incarcération continue d'occuper une partie du paysage politique et l'arrivée inopinée de Mondher Zenaidi qui s'est invité à la course vers Carthage, le président Kaïs Saïed, conscient qu'il a perdu une partie, qui reste à déterminer, de son électorat parmi les islamistes et les Tunisiens de la classe moyenne, se doit de ménager la sensibilité destourienne. Quoi de mieux que de commémorer le décès de Bourguiba, quitte à supporter les niaiseries de sa fille. Qu'il est loin le temps où, fustigeant le ballet des politiciens faisant le va et vient entre la capitale et le mausolée de Bourguiba, Kaïs Saïed affirmait que ces politiciens ne faisaient pas leur pèlerinage par amour pour Bourguiba mais pour chercher une légitimité dans les dépouilles des morts.
Aujourd'hui encore, il continue à fustiger ces politiciens. Mais devenu président, ayant plus de moyens et surtout n'ayant plus aucun contre pouvoir ou autorité de contrôle de ses décisions et de ses actes, il a désormais la latitude de les accuser tantôt de complot contre l'Etat, tantôt d'intelligence avec l'étranger. Ses opposants sont pour la plupart harcelés, incarcérés pour des motifs obscurs ou carrément anodins. Des décrets liberticides sont mis en place pour verrouiller le paysage politique, museler la presse et mettre pratiquement le pays sous une chape de plomb. Les institutions, quand elles existent, sont inopérantes, les pouvoirs sont dépréciés au grade de simples fonctions au service d'un Etat dominé par la fonction présidentielle.
Il y a quelques mois, Kaïs Saïed avait annoncé la couleur en déclarant qu'il ne cèdera le pouvoir qu'à des patriotes avérés. Hier à Monastir, il a réitéré cette idée. Il a affirmé que ceux qui vivent dans le giron de l'étranger n'ont pas le droit de se présenter à l'élection présidentielle. Cela concerne le dernier arrivant Mondher Zenaidi, mais concerne aussi un grand nombre de figures politiques qui ont choisi de s'exiler pour des raisons diverses allant de Moncef Marzouki à Nabil Karoui en passant par Youssef Chahed, Hichem Mechichi, ou encore Nadia Akecha. Cela veut-il dire que la loi électorale existante depuis 2019 va être révisée à quelques mois des élections ou que de nouvelles dispositions pratiques vont être prises par l'instance des élections pour barrer la route à la candidature des Tunisiens en exil, quitte à tordre le coup au principe de la compétition et à la logique électorale ?
Pour le moment rien n'est clair. La seule certitude, c'est que pour Kaïs Saïed la prochaine élection présidentielle est une affaire de vie ou de mort. Cela promet d'être chaud, très chaud même.