Dans une nouvelle intervention vidéo, diffusée dimanche 21 avril, Mondher Zenaidi a déclaré qu'il existe maintenant des signes annonciateurs de fin de règne. Tançant sévèrement, et justement, l'actuel président de la République, M. Zenaidi estime que Kaïs Saïed « ne profitera pas du vote utile durant le premier tour et qu'il subira un vote sanction, parce que les Tunisiens ne sont pas prêts à vivre cinq autres années de souffrance ». Ce que dit le candidat pressenti à la présidence donne du baume au cœur. Il nous plonge dans une ambiance électorale classique à toute démocratie où les candidats s'envoient des piques, des peaux de banane, des accusations tendancieuses et différents subterfuges provocateurs pour l'adversaire le mieux classé aux sondages. Sauf que la Tunisie n'est pas la Suède et le candidat Kaïs Saïed n'est pas réputé pour être un démocrate respectueux des lois et des règles du jeu. Dès lors, on ne peut pas voir cette période préélectorale avec des lunettes démocratiques et l'analyser avec des outils scandinaves.
Tout ce qu'a dit Mondher Zenaidi est vrai et juste. Oui, la situation politique, économique et sociale en Tunisie est catastrophique. Oui, Kaïs Saïed n'a aucun bilan à présenter. Oui, Kaïs Saïed est clivant. Oui, Kaïs Saïed n'a choisi que des médiocres et des nullards pour les nommer à des postes-clés de l'Etat. Oui, Kaïs Saïed n'a aucune vision d'avenir. Oui, Kaïs Saïed est en train de profiter du vide politique et de la faiblesse des syndicats, des organisations professionnelles et de l'administration et, plus que tout, de l'obéissance et de l'« apolitisme » des forces armées. Oui, il profite de la peur des magistrats, des instituts de sondage qui ne font plus leur travail et des médias publics devenus propagandistes. Oui, il profite d'un contexte géopolitique occupé par ce qui se passe en Ukraine et à Gaza. Mais Kaïs Saïed a beau être clivant avec un bilan incontestablement négatif et sans vision d'avenir, cela ne veut pas dire qu'il est politiquement mort.
Bien qu'il soit de son plein droit de tirer à boulets rouges sur le candidat-président, le futur candidat n'a pas et ne doit pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Il ne peut pas tenir un discours scandinave du XXIe siècle devant un Kaïs Saïed qui vit encore à l'époque de Omar Ibn El Khattab. Il ne peut pas parler d'une manière rationnelle à un peuple déçu par son élite. Il ne peut pas faire abstraction du contexte dans lequel évolue la société et la vie politique en Tunisie. Il ne peut pas faire l'impasse de la réalité du terrain.
La situation aujourd'hui est que la candidature de Mondher Zenaidi demeure encore hypothétique. Kaïs Saïed a prouvé par le passé qu'il ne respecte pas les règles du jeu et qu'il est prêt à changer ces règles au cours du match. Il est fort à parier, hélas, qu'il s'oppose à la candidature de tout adversaire sérieux qui risque de lui voler la présidence de la République par les urnes. À ce jour, le candidat le plus sérieux et le plus sensé est Mondher Zenaidi. Il n'est donc pas interdit de penser que Kaïs Saïed va user de tout son pouvoir de chef de l'Etat pour barrer la route à M. Zenaidi, comme il l'a fait pour d'autres candidats sérieux et plus ou moins sensés en les jetant, ni plus ni moins, en prison. Une fois M. Zenaidi écarté, et en attendant qu'un messie atterrisse par miracle sur la scène politique tunisienne, il ne reste plus aucun candidat sérieux, fédérateur et rassurant, capable de tenir tête au candidat-président. Faute de sondages réalisés d'une manière scientifique, toute analyse sur le sujet se base sur des impressions objectives et subjectives, mais aussi sur les anciens résultats des dernières élections.
Aucun des candidats pressentis n'est capable de mobiliser des foules par dizaines de milliers sur le terrain. Absolument aucun. Ils sont tous sur Facebook concentrés sur les « like » et les partages. Parmi ces candidats, il y a qui n'ont même pas lu la constitution qui leur interdit de se présenter, comme le cas d'Olfa Hamdi, il y a ceux qui n'ont pas réussi à sauver leur propre entreprise de la banqueroute, comme Nizar Chaâri, il y a ceux qui se sont agglutinés avec les services de renseignement étrangers et des dictateurs notoires comme Safi Saïd et il y a ceux qui n'ont aucune expérience managériale et n'ont même pas réussi à convaincre leurs voisins du village comme Lotfi Mraïhi. Quand ces beaux-parleurs, menteurs ou mégalos se présenteront, ils n'auront aucun poids face à Kaïs Saïed. Ce dernier l'emportera dès le premier tour, contrairement à ce que dit M. Zenaidi. Le choix sera vite fait, car incontestablement, on préférera un Kaïs Saïed à un Safi Saïd, un Kaïs Saïed à un Lotfi Mraïhi et un Kaïs Saïed à un Nizar Chaâri. On appliquera aveuglément le proverbe tunisien qui dit « Garde ton médiocre et ne prends pas le risque d'avoir pire » (شد مشومك لا يجيك ما أشوم). Au mieux, et pour exprimer son refus de choisir entre la peste et le choléra, le peuple s'abstiendra majoritairement de voter à la présidentielle 2024. Kaïs Saïed passera avec un petit nombre de voix, bien inférieur à celui de 2019, mais il passera quand même. Que le taux d'abstention soit record ou pas, les règles du jeu électoral (y compris dans les démocraties) ne prennent en considération que le pourcentage des voix sorties des urnes.
Pour résumer la présidentielle de 2024, Kaïs Saïed va probablement barrer la route à tout candidat sérieux, raisonnable, possédant l'ADN d'un homme d'Etat ou de futur homme d'Etat. Durant son règne de quatre ans et demi, il a fait de telle sorte de s'entourer de médiocres, ne laissant briller personne meilleur que lui. Il va user du même stratagème pour la présidentielle et ne laissera face à lui que des médiocres incapables de lui faire de l'ombre. Il sait qu'il n'est pas bon, il sait qu'il n'est pas une lumière, il sait qu'il est limité, mais sa soif démesurée du pouvoir l'obligera à agir ainsi, parce qu'il n'a pas d'autre choix.