Affaire Zagrouba : les jeunes avocats lancent un appel à Kaïs Saïed    Le "lobbying" revient comme un boomerang : la Cour confirme les 3 ans de prison et l'amende d'un million de dollars    Moncef Sellami : le groupe One Tech a nettement amélioré ses performances en 2023    Le ministère italien de l'Environnement a autorisé le projet Elmed    ENNAKL Automobiles en avant dans le virage ESG de la Bourse de Tunis    Cette année, le prix du mouton de l'Aïd monte en flèche    Nabeul : Démantèlement d'un réseau de trafic de drogue    Recensement : Plus de 3 millions de ménages concernés    Rassemblement demain à Tunis à l'occasion du 76e anniversaire de la Nakba    300 000 dinars pour l'approvisionnement alimentaire des élevages    Guerre en Ukraine: Situation actuelle (Ambassade d'Ukraine en Tunisie)    Mandat de dépôt contre Sherifa Riahi    Le HCDH exhorte la Tunisie à libérer les activistes détenus pour avoir défendu les droits des migrants    Taux de chômage et nombre de chômeurs en Tunisie ? Ce qu'il faut savoir    France : Qui est le député qui a osé refuser un voyage diplomatique en Israël?    Royaume-Uni/Etats-Unis: "La liberté de la presse dans le monde risque d'être durablement menacée" selon Amnesty International    Symposium international 'Comment va le monde? Penser la transition' à Beit al-Hikma    CA : 5 billets par supporter pour le derby tunisien    Rencontre avec les lauréats des prix Comar d'Or 2024    Hechmi Marzouk expose 'Genèse Sculpturale' à la galerie Saladin du 18 mai au 23 juin 2024    Daily brief régional du 17 mai 2024: Des peines de huit mois de prison pour 60 migrants irréguliers subsahariens    La Tunisie au cœur des initiatives météorologiques africaines    Vient de paraître — Des sardines de Mahdia à la passion: des mathématiques La vie fascinante de Béchir Mahjoub    Daily brief national du 17 mai 2024: Kais Saïed discute du sujet du financement étranger des associations    COINNOV : Ouverture de la deuxième session de candidature pour le Fonds dédié aux PME industrielles    Nabeul: Des élèves organisent "un marché de solidarité" au profit d'une association caritative [Vidéo]    Le CA affronte le CSKorba à Korba: Siffler la fin de la récréation    ST: Rêver plus grand    Ligue des champions — L'EST affronte Al Ahly en finale (Demain à Radès — 20h00) Mohamed Amine Ben Hmida : "Pour l'emporter, nous devons être concentrés et sobres !"    Exposition «punctum» de Faycel Mejri à la Galerie d'art Alexandre-Roubtzoff: L'art de capturer l'éphémère    Ce samedi, l'accès aux sites, monuments et musées sera gratuit    Raoua Tlili brille aux championnats du monde paralympiques    Pourquoi: Diversifier les activités…    Pris sur le vif: La valse des étiquettes    Le Mondial féminin 2027 attribué au Brésil    Industrie du cinéma : une affaire de tous les professionnels    Mokhtar Latiri: L'ingénieur et le photographe    Le ministre de l'Agriculture supervise l'achèvement des travaux de surélévation du barrage Bouhertma    Météo de ce vendredi    16 banques locales accordent à l'Etat un prêt syndiqué de 570 millions de dinars    Basket – Pro A : résultats complets de la J2 play-out (vidéo)    Palestine : la Tunisie s'oppose aux frontières de 1967 et à la solution à deux Etats    Bank ABC sponsor de la paire Padel Hommes    76e anniversaire de la Nakba : La Tunisie célèbre la résistance du peuple palestinien    En bref    Nakba 1948, Nakba 2024 : Amnesty International dénonce la répétition de l'histoire    Urgent : Une secousse sismique secoue le sud-ouest de la Tunisie    Le roi Charles III dévoile son premier portrait officiel    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Sens critique ou sens unique ?
Publié dans Business News le 30 - 04 - 2024

En dépit de mon attachement à la philosophie sans laquelle le monde serait inintelligible, sans citer Socrate, le père de la pensée critique, ni Descartes, ni Ghazali, ni, plus récemment Derrida, je vais tenter d'esquisser quelques réflexions sur l'importance du sens critique comme un enjeu de société et plus particulièrement un enjeu politique.
Pour faire simple, on peut sommairement diviser les sociétés mondiales en deux catégories distinctes, les sociétés pourvues de mécanismes critiques et les sociétés qui en sont dépourvues. Les sociétés n'étant jamais homogènes, cette classification n'obéit pas à des règles empiriques et se contente d'une dichotomie réductrice, mais néanmoins au service d'une démonstration grand public.
Cette classification n'est pas stable, car les sociétés ne sont pas figées et évoluent dans le temps et l'espace.

Qu'est-ce que le sens critique ?
Certains l'appellent l'esprit critique ou la pensée critique (critical thinking), je privilégie personnellement, le terme « sens » parce qu'il est polysémique et permet d'envisager la question aussi bien en relation avec la raison et ses mécanismes empiriques qu'avec l'esprit qui traduit une attitude et une tournure systématique de l'esprit.
Le sens critique est d'abord une discipline qui consiste à soumettre à l'examen critique tout phénomène observable et mesurable sans porter de jugement de valeur. La critique permet de briser les tabous, de dire l'indicible, d'envisager l'inenvisageable, de rendre intelligible un monde trop souvent gouverné par les légendes, les superstitions et la binarité (vrai/faux, nous/autres, civilisé/sauvage, etc).
Dans sa déclinaison scientifique, le sens critique se forge selon une méthodologie basée sur l'observation, l'évocation d'hypothèses, l'analyse, l'expérimentation et l'établissement d'une vérité, elle-même relative et critiquable.
Tous les phénomènes naturels, temporels, intemporels, tous les attributs phénoménologiques ou spirituels sont soumis à l'examen critique dans les sociétés vivantes dans un mouvement réflexif sans fin. Autrement dit, l'examen critique ne s'arrête jamais parce que dans les sociétés vivantes, le résultat n'est pas une fin en soi, une conclusion n'est rien d'autre qu'une ouverture sur d'autres questionnements dans un mouvement perpétuel attestant de cette vivacité.
A l'inverse, dans les sociétés à faible sens critique, le mouvement est extrêmement lent, voire inexistant si l'on exclut le mouvement qu'impose la nature entre naissance et extinction. Pour tout ce qui relève de la vie de la Cité et de son organisation, l'absence de sens critique atteste de la mort lente des sociétés et d'aucuns diront l'absence de sens dans cette vie.
Que se passe-t-il dans les sociétés vivantes ?
Si l'on se limite à la période allant de la Renaissance à nos jours, on observe que le sens critique a évolué de manière erratique, mais néanmoins constante sur le temps long.
En dépit de la richesse de l'héritage critique grec, la pensée unique et figée, voire sacralisée avait été imposée par le pouvoir religieux dans l'espace géographique chrétien où le sens critique était perçu comme une abomination du diable, et toute lecture du monde hors du cadre institutionnel religieux était passible des pires sanctions. Un état de fait, parfaitement démontré dans le chef-d'œuvre d'Umberto Eco, Il Nome della Rosa. Signe extrême de la haine du corps et donc de la vie, le rire, les livres et l'amour sont combattus pour que règnent le nihilisme et la négation de soi et du monde.
L'Europe médiévale n'a pu effectuer le changement paradigmatique vers un nouveau modèle qu'une fois le processus de désacralisation entamé dans toutes les sphères de la vie de la Cité. Les chaînes étaient brisées au prix de la vie d'Erasme, de Galilée et de Copernic, chacun dans son domaine d'intérêt mais tous munis du même outil qui était le sens critique. Ne rien prendre pour argent comptant, tout soumettre à l'examen critique, au crible de la raison et de la démonstration empirique. C'était le début d'une ère nouvelle, celle de la liberté de pensée et la liberté de conscience. Les chaînes du sacré étant brisées, le monde s'offrait à tous pour devenir un champ à explorer et à labourer pour y faire pousser les germes d'un nouveau monde où l'Homme occupe le centre, où la conception mortifère de la vie était remplacée progressivement par une conception joyeuse et hédoniste. C'est à coup de transgression, de franchissement des limites prescrites, de sacrifices humains, de volonté obstinée à aller voir par-dessus les barrières, que le changement a pu voir le jour et les progrès humains ont pu se réaliser. C'est cet héritage humain accumulé à travers les siècles qui a permis au monde occidental, de jouir de ses libertés, d'enregistrer des progrès fulgurants dans tous les domaines qu'ils soient de nature matérielle ou intellectuelle. L'équation est simple : plus le sens critique est aigu, plus les libertés s'affirment et plus l'Homme se surpasse et découvre qu'il recèle des capacités insoupçonnées. On est passé de la soustraction à la multiplication, de l'unique au divers, du fini à l'infini.

Comment dilapider un héritage ?
Si l'on prend une cartographie du monde tel qu'il se présente aujourd'hui, nous pouvons dire que les sociétés dites à fort sens critique, vivent une érosion de ce sens sous les coups de boutoir de l'ingénierie sociale, de l'intérêt économique, de la désinformation, de la manipulation et de l'abrutissement à une échelle sans précédent.
Au lieu de contraindre les populations par l'emploi de la force et la peur, il est plus subtil d'assécher la source qui alimente le sens critique et le remplacer par une servitude volontaire. Système éducatif orienté et utilitariste, industrie des loisirs (entertainment), prédominance du futile, technologie addictive, matérialisme exacerbé, valeurs inversées, tout le système concourt à créer « l'Homme nouveau ». Un Homme sans accès à la source qui alimente le sens critique, et donc sans conditions nécessaires à l'exercice de ses libertés.
On songe au roman de Salman Rushdie Haroun and the Sea of Stories dans lequel, le Chef du Culte, figure suprême de la pensée unique, s'emploie sans répit à empoisonner la mer des histoires pour que les Hommes ne puissent plus y trouver la source de leurs inspirations. C'est ainsi, que les voix sont étouffées et les lectures du monde sont remplacées par une seule lecture, et les livres disparaissent au profit du seul et unique Livre.
L'érosion du sens critique s'accompagne inéluctablement par l'érosion des libertés et le rétrécissement du champ d'action de l'Homme conduit docilement aux abattoirs pour subir l'ablation du seul « organe » qui compte : sa raison. Malgré le peu de voix qui résistent à cet inéluctable marche vers l'abîme et l'esclavage néolibéral, on assiste à la création de l'Homme creux, vidé de la substance critique qui irriguait jadis sa pensée. Le piège est en train de se refermer et le mouvement est en train de s'inverser, marquant le retour vers le futur où l'on s'accommode docilement de la servitude pourvu qu'on continue à assouvir les différentes addictions dont l'Homme est à présent prisonnier. La boucle est en train d'être bouclée, circulez il n'y a plus rien à penser.

Jonction des deux mondes
Les sociétés à faible sens critique, combattent le questionnement et le doute, érigent le sacré à un tel niveau que toute tentative de remise en question, d'aller voir par-delà les barricades, équivaut à un blasphème voire, une condamnation à mort. La binarité est le constat, la simplification est la méthode et le rétrécissement est l'objectif. Réduire le champ de réflexion, pour réduire la compréhension du monde. Au lieu d'appréhender le monde dans sa complexité et sa diversité, on le sursimplifie selon des marqueurs aussi forts que la langue, la religion et les expressions culturelles. Il n'y a de sens que par opposition et toute opposition est antinomique à l'interaction, au mélange, à l'hybridité, à la créativité et à la nouveauté.
Dans les sociétés à faible sens critique, on ne créé pas, on reproduit, on consomme et on imite. Le passé y est plus important que le futur, la nostalgie est plus réconfortante que l'inconfort du questionnement, du doute et de l'inventivité. On se complait dans la posture des moutons de Panurge, avec un berger qui guide et qui veille à ce que l'organe de la réflexion reste amorphe et ne perturbe pas le processus infini du broutage d'herbe, la tête baissée. Dans les sociétés à faible sens critique, on contraint les peuples par la force et la peur, on s'adresse à leur instinct primaire plutôt qu'à leur raison, on flatte leur affecte, on leur donne l'illusion d'exister, on les enferme dans des oppositions meurtrières. Si pensée il y a, il faut qu'elle soit uniforme, unilatérale, réductrice et simpliste. Plus de place au sens critique, plus de place au divers et aux nuances, Le Maître du culte peut alors prétendre incarner la foule. Antagonisme, incarnation et simplification sont alors les pierres tombales qui scellent le sort des sociétés à faible sens critique.
Erosion d'un côté, contrainte et abrutissement de l'autre, les deux mondes se rejoignent et se télescopent au profit d'un nouvel ordre mondial où le darwinisme social est présenté comme « méritocratie », où les liens distendus sont vendus comme « liberté individuelle », où les valeurs sont des contraintes qu'il faut éliminer, où chaque Homme est une île qui erre sans boussole, dans un océan de mensonges.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.