Après moult rebondissements et, surtout, une décision vendredi dernier de fermer l'unité de production de Mateur du groupe Leoni, un accord in extrémis a été obtenu pendant le week-end et le travail a repris le matin de ce lundi, 13 février. Qu'en est-il et pourquoi le groupe Leoni a-t-il recouru à des solutions extrêmes? La direction de Leoni a affirmé être victime du pluralisme syndical. «Il est impossible d'entamer une concertation efficace en présence de deux organisations syndicales (UGTT et UTT) en opposition continue, avec, en prime, l'absence d'une législation statuant sur le rapport, aussi bien entre elles, qu'avec chacune d'elle, en cas de conflit», a souligné le directeur général de Leoni Tunisie, Mohamed Larbi Rouis, qui a déploré «l'absence de fait d'un interlocuteur viable, d'autant plus que les deux syndicats revendiquent la légitimité». Cette situation confuse a fait que la direction de cette firme allemande s'est retrouvée face à des situations de passe-droits, qu'elle n'est pas parvenue à maîtriser, en dépit de l'intervention de l'administration régionale. «La réunion tenue au gouvernorat de Bizerte n'est pas parvenue à débloquer la situation car les représentants de l'UTT se sont même attaqués au gouverneur. Il y a une impossibilité pratique de dialogue», a déploré Wissem Boujemâa, le directeur des ressources humaines de ce groupe, opérant dans le secteur du câblage et employant près de 14.000 personnes en Tunisie, dont 5.500 à Mateur. Dans le cas d'espèce, la firme Leoni a certes pointé du doigt le syndicat de l'UTT et l'a accusé nominativement d'être derrière cette confusion. Mais, en règle générale, ladite firme considère qu'elle «respecte les choix syndicaux de ses employés, qu'ils soient dans un, ou plusieurs syndicats». Toutefois, «le pluralisme syndical non institutionnalisé pose problème pour l'administration», a constaté le directeur général de cette firme allemande, implantée depuis des décennies en Tunisie. «Ce manque de discipline et les sit-in anarchiques manipulés par le syndicat de l'UTT ont poussé le groupe à prendre, vendredi dernier, la décision de fermer l'unité de production de Mateur», a annoncé la direction de Leoni. Il a fallu toute une dynamique, durant le week-end, de l'administration et de la société civile pour que la firme revienne sur sa décision. Ainsi, d'une part, le ministre tunisien de l'Industrie Mohamed Lamine Chakhari s'est rendu sur le site pour entamer des consultations avec la direction et les représentants du personnel afin d'éviter la fermeture de l'usine, jugée catastrophique. D'autre part, une délégation de représentants de la société civile de Mateur, des employés et des syndicats s'est rendue à Sousse pour négocier avec la direction générale de Leoni. «Un accord a été obtenu, stipulant que la première priorité, c'est la continuité de l'entreprise et la pérennité de l'emploi», a expliqué Mohamed Hédi Graâ, chargé de communication du groupe, qui a précisé que «le syndicat a pris des engagements pour que tout se passe bien. C'est une bonne nouvelle pour Mateur». Du côté de la centrale syndicale UTT, on affirme que «la direction a donné des garanties et assuré qu'elle règlerait certaines situations individuelles», a déclaré Ali Zaoui, membre du bureau exécutif de l'UTT. La direction de Leoni Tunisie a toujours annoncé n'être pas libre dans ses manœuvres. Le directeur général, Mohamed Larbi Rouis, a averti que «même si le groupe n'avait jamais eu l'intention de fermer définitivement son site de production de Mateur, la prolongation d'une telle situation d'indiscipline pourrait obliger l'investisseur allemand à délocaliser vers d'autres régions comme l'Europe de l'Est, ou le Maroc». M. Rouis a attiré l'attention sur le fait que «le groupe a été jusqu'en 2011 satisfait des résultats de son activité en Tunisie et compte la développer mais les fréquents avis de grève, spécialement à Mateur, ne peuvent qu'attiser sa peur surtout qu'il a subi à chaque fois des pertes énormes, s'élevant à des millions de dinars». La direction de Leoni a conclu que «le dialogue et la prise de décision ne peuvent être entamés avant le réexamen de l'organisation et de la réglementation de la question du pluralisme syndical». Une situation pareille, certes amplifiée par les surenchères du syndicat de l'UTT, pousse à poser une interrogation réelle sur la situation du pluralisme syndical, récent en Tunisie. Comment devrait-on gérer cette problématique ? Sur le plan législatif, le Code du travail énonce certes que, «lors d'éventuelles négociations, les intérêts des employés sont défendus par le syndicat le plus représentatif». C'est ce qui a, par ailleurs, conduit le gouvernement à traiter avec l'UGTT, pas l'UTT, ou la CGTT. L'UGTT est jusque-là, et de loin, la centrale syndicale la plus représentative des employés. Toutefois, cette délimitation n'a pas empêché les employeurs et les autorités régionales de négocier avec le syndicat de l'UTT, ou la CGTT, à chaque fois où ils ont constaté que ces syndicats disposent d'une représentativité les positionnant comme les négociateurs, au nom de la corporation professionnelle concernée par le différend dans le monde de travail. La CGTT a été en effet intégrée aux négociations lors de la grève des conducteurs de métros. L'accord de reprise du travail a été négocié avec le syndicat CGTT, tout comme le dernier débrayage à Leoni Mateur. «C'est le Secrétaire général du syndicat de l'UTT, qui a imposé un arrêt imprévisible de travail, durant les journées de jeudi et vendredi derniers dans l'unité de production Leoni de Mateur», a insisté la direction de Leoni, qui a plutôt déploré «le manque de respect des réglementations de travail et de contestation, chez cette entité syndicale». Toutefois, selon les observateurs dans le monde du travail, «les événements des derniers mois ont montré que c'est la surenchère dans les doléances, qui a permis jusque-là à ces syndicats d'être présents autour de la table de négociations». Ainsi, des interrogations accompagnent leur capacité à s'affirmer comme syndicats représentatifs, en temps normaux. D'ailleurs, ce qui se passe à Mateur est révélateur à plus d'un titre. La direction de Leoni a conclu que «Cette organisation (UTT) est devenue au dessus de la loi. L'administration ne peut plus appliquer la réglementation de travail et traduire les employés réfractaires devant le conseil de discipline. Ainsi, les insubordinations sont devenues monnaie courante et le climat n'est plus propice au travail. On a discuté avec nos directeurs en Allemagne et décidé de fermer le site». Les observateurs interprètent ces surenchères et ces dépassements comme des moyens de pression pour que le gouvernement reconnaisse l'UTT d'Ismaïl Sahbani comme un négociateur sur le même pied d'égalité que l'UGTT. Mais, comment devrait réagir le gouvernement? Ces jeux de pression sont très délicats, surtout que l'UGTT dispose, elle aussi, de plus d'un tour dans son sac. Affaire à suivre…