Sa communication avait un axe principal : il ne défend pas sa personne, mais le poste de gouverneur de la Banque centrale qui doit être indépendant de toute sensibilité politique et au dessus de tout calcul partisan, afin de préserver la stabilité du pays. Message adressé directement à Carthage qui, comme d'habitude, ne l'a pas saisi. « J'aurai aimé parler des intérêts de la Tunisie, de nos relations avec l'étranger, de la politique monétaire, de la participation de la BCT à l'économie du pays, de nos préoccupations. Mais, hélas, je me trouve obligé d'aborder un sujet plus profond et plus grave, à savoir la préservation des institutions de l'Etat et les bases de la stabilité de l'économie et de la finance en Tunisie ». C'est en ces termes, sur un ton des plus désolés, que Mustapha Kamel Nabli a entamé sa conférence de presse dont on n'apprendra pas beaucoup de choses, par rapport à ce qui s'est dit tout au long de ces dix derniers jours. Trop poli, trop cartésien, trop technocrate, ceux qui s'attendaient à un discours accablant le président de la République en auront pour leurs frais. Mustapha Kamel Nabli a élevé le débat à un niveau supérieur. Un peu trop d'ailleurs, car à un certain moment, il aurait peut-être fallu parler au président de la République avec le langage qu'il comprend afin (qui sait ?) qu'il saisisse la substance du message du gouverneur de la BCT. Pour Mustapha Kamel Nabli, le différend n'a rien de personnel et c'est pour cela qu'il a tenu à alerter l'opinion publique. Sachant qu'un grand nombre de représentants de médias internationaux étaient présents à la conférence, il ne s'agit pas que de l'opinion publique nationale. « Le limogeage ne touche pas la personne, mais l'institution. Si c'était personnel, j'aurai démissionné depuis un bon bout de temps. Je me moque du poste, ce qui m'intéresse c'est le succès du pays et la réussite de la révolution. Je me dois de défendre cela », déclare M. Nabli qui rappelle que, depuis 1958 date de la création de la BCT et depuis la révolution, la BCT a participé grandement à la stabilité du pays. Il rappelle également que son remplacement ne pose pas de problème, à ses yeux, le pays regorge de compétences, « le véritable danger est dans la mise sous tutelle des institutions de l'Etat. L'implication de la BCT dans des calculs politiques est menaçant pour les institutions de l'Etat », dit-il. Son cheval de bataille ? L'indépendance de la BCT. Ce sera l'unique chose qu'il défendra de bout en bout durant la conférence. L'indépendance de la Banque centrale doit être au dessus de tout, au dessus des calculs politiques à court terme et ceci a déjà été admis par l'Assemblée nationale constituante (ANC). L'ANC, c'est justement là que tout va se jouer. Selon M. Nabli, les élus de l'ANC étaient convaincus par la nécessité que l'institut d'émission jouisse d'une totale indépendance. Il leur a tout expliqué et a proposé de leur ouvrir les portes de la BCT pour qu'ils voient d'eux-mêmes tout ce qu'ils veulent voir. « Nous n'avons rien à cacher, nous agissons en toute transparence », dit-il. A l'entendre, les élus de l'ANC seraient convaincus par sa plaidoirie et auraient souhaité qu'on n'en arrive pas là. « Que la chose soit maintenant devant l'ANC, c'est tant mieux, je demande donc qu'ils tranchent ». Samir Ben Amor, conseiller du président de la République pour les affaires juridiques, offre un autre son de cloche. Interrogé par Naoufel Ouertani sur Mosaïque FM, quelques minutes après la conférence, M. Ben Amor indique que le sort de M. Nabli est déjà scellé. La troïka serait d'accord pour son limogeage et ceci n'est qu'une question de jours. Il ose même avancer, sans être contredit, que Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, a affirmé la même chose hier soir au cours d'une émission télévisée. Apparemment, Samir Ben Amor était le seul à avoir entendu cela, car on ne se rappelle pas que M. Ghannouchi ait tranché, dans un sens ou dans l'autre, dans cette histoire. Autre question à laquelle M. Ben Amor a soigneusement évité de répondre : les raisons de la volonté du président de la République de limoger le gouverneur. « Vous le saurez à l'ANC », s'est suffi le conseiller. Après avoir rappelé que le décret présidentiel n'a jamais été motivé, M. Nabli a indiqué pour sa part qu'il n'a aucun problème personnel avec le président. « Je ne le connais pas, je ne l'ai jamais rencontré. Tout ce que je sais, c'est son insistance à démettre le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie ». Avec le gouvernement, les choses sont autrement plus sérieuses et moins compliquées. Kamel Nabli affirme que les relations avec le gouvernement sont normales, voire bonnes. « On discute en toute transparence, il n'y a aucun problème. Le gouvernement a sa position, affronte beaucoup de problèmes, mais il n'a pas pris position et a décidé de laisser l'ANC trancher », a affirmé le gouverneur sans évoquer ses deux rencontres avec Hamadi Jebali. Visiblement donc, et vu que les relations du gouverneur avec l'ANC et le gouvernement sont bonnes, les contacts ne sont coupés qu'entre la présidence et la BCT. Ont-ils existé un jour d'ailleurs ? A entendre le gouverneur, la présidence n'a jamais répondu à ses demandes d'audience. Comme le stipule la loi, le gouverneur se doit de déposer les états financiers et le bilan de la BCT au président. Il a donc demandé une audience à cet effet depuis mi-mars. Une demande réitérée ultérieurement. Sans suite. Mais peut-être que cette demande a été formulée par téléphone et, qu'en ce moment, le président était hors réseau, auquel cas on comprend un peu mieux pourquoi le gouverneur n'a pas reçu de réponse. Reste à comprendre la motivation du président de la République quant à son insistance à limoger le gouverneur. Il ne faut pas aller bien loin, il suffit de lire son article publié jeudi soir sur aljazeera.net ou encore les articles de quelques uns de ses collaborateurs. Moncef Marzouki and co ne veulent pas du libéralisme, du modèle économique suivi par la Tunisie et de la politique monétaire de la BCT. Ils l'ont dit clairement dans leurs différents articles. A défaut de pouvoir s'en prendre à Hamadi Jebali, la présidence s'en prend à Mustapha Kamel Nabli. Pour le moment.