La Tunisie vient d'avoir la confirmation qu'elle sera le pays d'accueil du 16ème congrès de l'organisation mondiale «International Transparency» en 2014. Un signal fort que ce pays, initiateur du printemps arable, souhaite s'orienter vers cette voie et peut-être même être avant-gardiste sur le sujet. Dans le brouillon du projet de Constitution, qui sera discuté par les députés de l'Assemblée nationale constituante, figure trois articles en lien avec la transparence. Le premier stipule que l'administration publique fonctionne selon « le principe de la neutralité, les bases de la transparence, de l'honnêteté et de l'efficacité » (article 16.1), le second fait référence à la transparence financière des partis, syndicats et associations (article 12.2) et le troisième donne à tous les citoyens le droit d'accès à l'information sous réserve de certaines limites (article 16.2). Dans ce projet, on trouve aussi les articles régissant une commission constitutionnelle sur la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption. S'il est vrai que cela constitue un pas vers la transparence, il n'en demeure pas moins que des efforts restent à faire. Même si le cadre juridique actuel en Tunisie, en l'occurrence le décret-loi n°41-2011 modifié par le décret-loi n°54 -2011, donne le droit à toute personne physique ou morale d'accéder aux documents administratifs des organismes publics « aussi bien par divulgation proactive que divulgation sur demande de l'intéressé » sous réserve de certaines exceptions, l'ouverture des données (la mise à disposition des données publiques « open data ») est loin d'être effective. Pendant la période de la dictature, les administrations (ministères …) travaillaient dans une opacité totale. Les données étaient soit manipulées, soit censurées, soit inexistantes, facilitant ainsi la recrudescence de la corruption. La rupture avec le passé et l'ouverture des données ne peuvent être réalisées qu'en initiant un véritable changement culturel profond dans les administrations et les institutions de l'Etat. Trois mécanismes clés permettraient d'aider à atteindre cet objectif : la référence à l'ouverture des données dans la Constitution, la volonté politique et la collaboration avec la société civile. D'abord, même si le brouillon du projet de la Constitution mentionne la transparence et renforce le pouvoir du citoyen à travers l'accès à l'information, il reste lacunaire sur ce sujet puisqu'il ne fait pas référence à l'ouverture des données par l'administration publique d'une façon claire et explicite. Au même titre qu'un article sur l'accès du citoyen à l'information, il est indispensable d'avoir un article sur l'obligation de l'administration de rendre les données publiques d'une façon systématique et régulière. L'approche est loin d'être la même, la première étant centrée sur le citoyen et lui indique ses droits, la seconde faisant de l'administration un acteur du changement. L'ouverture des données responsabilise l'administration qui doit en conséquence rendre des comptes aux citoyens. L'exemplarité devient alors une obligation et non un choix. Ce point est crucial pour un pays qui a longtemps baigné dans les malversations et constitue un mécanisme clé de la prévention contre la corruption. Ensuite, même si le cadre juridique est une condition sine qua non pour la transparence, il reste largement insuffisant. Seule une réelle volonté politique permettra de rendre effective la transparence et notamment l'ouverture des données des organismes publics. Il est primordial que les ministères par exemple se dotent d'une cellule pluridisciplinaire (statisticiens, juristes, informaticiens…) dédiée à la publication des données dont le contenu et le format sont intelligibles, compréhensibles et réutilisables par les différents acteurs (société civile, médias, partis politiques, chercheurs, experts…) pour leur permettre de produire de l'intelligence collective (propositions d'analyses, de réflexions, de réformes…). Comme le souligne Benjamin Ooghe-Tabanou, co-fondateur du collectif « Regards Citoyens » en France, il est important de lever "toute barrière à la réutilisation" des données publiques, "il faut livrer les données dans des formats ouverts, simples» (1). Enfin, une des spécificités de la Tunisie est le rôle important que joue la société civile dans ce domaine. En effet, de nombreux groupes et associations militant pour la transparence ont vu le jour après la révolution. L'Etat tunisien devrait les soutenir dans leur rôle citoyen et collaborer avec eux pour mettre en place des actions concrètes améliorant l'ouverture des données et montrant son impact dans la vie quotidienne du citoyen. Un citoyen averti et informé peut mieux contribuer à la réussite d'une démarche de démocratie participative en apportant une valeur ajoutée au débat d'idées, mais encore faut-il avoir les clés pour le faire … Pour la Tunisie post-révolution, l'ouverture des données est un mécanisme clé de la transparence, facteur indispensable pour rétablir la confiance entre le l'Etat tunisien et le citoyen. Plus qu'une valeur, la transparence est une méthodologie de travail au cœur de la réussite de la transition démocratique. Comme le déclare Sarhane Hichri, un des initiateurs du mouvement « gouvernement ouvert » en Tunisie (OpenGovTn)(2), « il n'y aura pas de démocratie sans transparence»(3). (1) Hafwa Rebhi, « Open your eyes ! », publié sur le site de la 15ème conférence internationale de la lutte anti-corruption (10 novembre 2012). (2) OpenGovTn est un mouvement qui œuvre pour la transparence, l'open data et la démocratie participative en Tunisie. (3) Valentine Pasquesoone, « En France, l'open data en marche », Le Monde ( 31 mai 2012). * Maître de Conférences, co-directeur du master 2 « Management et technologies de l'information et de la communication » à l'université de Cergy-Pontoise.