Tout a été dit ou presque, cependant j'aimerai bien ajouter quelques observations personnelles avec mon vécu dans cette région. Lors de l'organisation de l'Université des Cinq Continents à Tombouctou en 2005 et en travaillant sous l'égide de l'UNESCO sur l'inventaire des manuscrits, nous avons estimé dans cette ville millénaire et ses environs, l'existence de trois cent mille manuscrits. Dans son rapport, établi à cette occasion, notre collègue Jean Michel Djaïn a écrit ce qui suit : Pillage et trafic : « En 1973, un centre d'archivage, l'Institut Ahmed Baba, a été créé sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies, qui tente de récupérer les archives détenues par les familles, mais dégradées ou menacées de dégradation parce que stockées dans des conditions précaires. Autre menace, bien plus grave, le pillage et le trafic des manuscrits par les bandes armées qui contrôlent dorénavant le Nord du pays. » Ce trafic des manuscrits a permis de réunir des fonds leur permettant, dans un premier temps, de structurer des petites organisations de vingt à trente personnes, acheter des armes par la suite et contrôler des hameaux et surtout de contrôler des petites routes transsahariennes qui relient Tombouctou, Gao, Mopti, Kidar, etc. A partir de 2006 et 2008, des jihadistes ont quitté l'Afghanistan du fait que les Talibans ne veulent plus de leur soutien. Ces derniers ont considéré, à tort ou à raison, que les Jihadistes arabes étaient trop arrogants, se comportaient comme de véritables chefs du mouvement disposant de beaucoup de moyens financiers qu'ils gardent souvent pour eux, « c'est ce qui explique en partie l'isolement de Ben Laden ». (Témoignages que j'ai moi-même collecté) Un grand nombre de ces jihadistes ont rejoint le Sahara tout particulièrement au nord du Mali qu'ils considèrent, vu la fragilité de certains Etats riverains, un territoire favorable à s'organiser dans le cadre d'une Qaida arabe. Le financement de cette étape fut essentiellement par les prises d'otages, les fonds réunis sont estimés à 120 millions d'euros (il faut savoir qu'une partie de la population de cette région vive avec, en moyenne, un euro par jour). Une somme colossale qui leur a permis d'établir des réseaux notamment en Mauritanie, au Niger et en Libye. Cette action a été facilitée par l'existence de nombreuses écoles coraniques, fiancées, entre autres, par les Saoudiens. Une fois cette étape franchie, Al Qaida du Maghreb a tenté d'établir des bases en Tunisie (l'affaire de Slimane, l'attaque de la caserne à Nouakchott, les différentes attaques des églises au Nigeria, attaque des lieux de cultes au Nigeria, des prises d'otages au Niger, etc.) Puis, comme nous le savons tous, ils ont appelé à la destruction de tous les marabouts en terre d'islam. (J'ai attiré l'attention sur cet aspect par un article au Maghreb avant que ce phénomène ne prennne forme en Tunisie). Derrière toute cette mouvance, il y a bien entendu un objectif stratégique qui consiste à créer un Etat islamique saharien en mesure de déstabiliser les Etats riverains les plus fragiles tel que le Mali. Je ne reviens pas à la question du Sahara qui a toujours été considérée à la fois comme un enjeu stratégique régional et international : trois aspects qu'il faudrait retenir : - La question du Sahara et du jihadisme radical ne date pas d'aujourd'hui. - les conflits transfrontaliers entre le Maroc et l'Algérie, la Tunisie et l'Algérie, l'Algérie et la Libye, le Maroc et la Mauritanie, la Mauritanie et le Sénégal, la Libye et le Tchad, etc. ont indirectement participé au développement de cette crise. - La découverte du pétrole en 1955 au Sahara Hassi Massoud qui a conféré à cette région une importance économique stratégique. La France va dès lors essayer de promouvoir une nouvelle politique saharienne avec notamment la création, le 10 janvier 1957, de l'Organisation Commune des régions saharienne (OCRS) et le 21 juin 1957, d'un ministère du Sahara confié à Max Lejeune. Cependant, cette politique de séparer le Sahara des pays riverains tout particulièrement de l'Algérie n'a pas abouti parce que seul le Niger et le Tchad ont accepté de signer une convention avec l'OCRS. Cette tentation néocoloniale est toujours à l'ordre du jour. Enfin, même si l'armée française, malienne et tchadienne ou autre réussissent à déstabiliser les groupes jihadistes dans cette région, la question du Sahara ne sera pas résolue pour autant. C'est aux Etats riverains du Sahara de prendre des mesures adéquates pour régler « cette question à travers une vision stratégique commune et solidaire ». C'est peut être le moment d'engager une rupture avec la perception colonialiste de toute cette région. Autrement, une crise pareille ou même plus grave et plus meurtrière peut surgir dans les années à venir. * Ridha Tlili est professeur d'histoire géopolitique et directeur de la Fondation Ahmed Tlili pour la Culture démocratique et la Justice sociale.