Pour une première, c'en est bien une ! En l'espace de la même journée du mercredi 3 avril 2013, Sihem Badi, ministre de la Femme et de l'Enfance, puis Moncef Marzouki, président de la République, se sont retrouvés sous la menace d'un limogeage, suite au dépôt de deux motions de censure ayant réuni, respectivement, 78 et 74 signatures dépassant, ainsi la barre des 73 requis pour passer au vote lors d'une séance plénière. Certains parlent de motion de censure, mais selon les juristes dont, notamment, Kaïs Saïd, il faudrait parler plutôt de motion pour destitution, car une motion de censure s'appliquerait pour le cas d'une action de retrait de confiance à tout un gouvernement. Sans entrer dans les méandres des détails juridiques et constitutionnels, un fait est là : 78 et 74 élus appellent à la mise à l'écart de ces deux CPRistes des responsabilités qu'ils assument depuis les élections du 23 octobre 2011. Ce qui est conforme à l'article 13 de la loi n°6 du 16 décembre 2011 réglementant l'organisation provisoire des pouvoirs publics. Si le cas de Sihem Badi aura une incidence, uniquement, symbolique dans la mesure où en cas de vote positif de la motion, il y aura, juste, le remplacement, d'un membre du gouvernement par un autre, la problématique concernant le Président de la République est tout autre avec plusieurs scénarios à prévoir. Il y a, d'abord, la première probabilité consistant en un rejet de la motion par la plénière, ce qui n'engendre, bien entendu, aucune retombée sauf, une éventuelle fragilisation de M. Marzouki dont le prestige et la réputation sont largement entamés auprès de l'opinion publique, plus particulièrement à travers les réseaux sociaux. D'ailleurs, selon les résultats du dernier sondage parus sur les médias, Moncef Marzouk « caracole » en bas de classement et se retrouve parmi les personnalités les plus impopulaires. Il faut dire qu'il ne rate pas une occasion pour mettre le pied dans le plat, la dernière bavure étant celle commise lors de sa participation au Sommet arabe de Doha où il a accordé une interview à Al Jazeera , dans laquelle il a mis en garde ses opposants, « si un jour ils réussissent à prendre le pouvoir, de n'importe quelle manière », contre « une grande révolution, plus importante que la première » et même à des « peines de pendaison ». Et c'est la goutte qui a fait déborder le vase puisque M. Marzouki est à sa énième bourde du genre, surtout en tenant des propos aberrants à l'étranger, oubliant les règles élémentaires de son statut en tant que président de tous les Tunisiens. Une goutte énorme qui fait déclencher ce terrible processus d'establishment. La première question qui se pose et s'impose est la suivante : La motion pour destitution a-t-elle des chances d'être adoptée ? Ou plutôt a-t-elle des chances de recueillir 35 voix, autres que celles des 74 élus ayant déjà signé la pétition réclamant ladite destitution ? Selon les analystes, Les élus d'Ettakatol voteraient, probablement, pour la motion dans la mesure où le courant ne passe plus avec le CPR et où Mustapha Ben Jaâfar aurait l'occasion en or, tant rêvée et désirée, de s'emparer de la magistrature suprême qui lui avait été « soufflée » sous le nez par M. Marzouki, obsédé par ce poste de président de la République.
Ensuite, on citera le cas des 4 ou 5 ex-CPRistes, désormais partisans de Mohamed Abbou, qui pourraient voter contre leur ex-président de Parti afin de le punir pour avoir pris partie pour son staff à Carthage. Sans oublier les constituants indépendants qui n'ont pas de consignes strictes partisanes, mais qui votent selon les cas et les circonstances. Cependant, la grande énigme demeure celle du vote du Parti Ennahdha, réputé pour sa rigueur disciplinaire et sa grande capacité de mobilisation. Pour ce parti, allié avec le CPR, les raisons de voter pour la destitution sont nombreuses tellement le bouillant Marzouki lui en a fait voir de toutes les couleurs. Pour ne citer que les plus grands différends, on mentionnera, d'abord, l'affaire de Baghdadi Mahmoudi qui a entraîné le premier bras de fer entre la présidence et le gouvernement qui s'étaient lancé les pires accusations. Ensuite, Ennahdha n'oubliera jamais que c'est Moncef Marzouki qui avait, le premier, évoqué la nécessité de former un nouveau gouvernement restreint composé de compétences non partisanes. Une idée reprise, quelque temps plus tard par Hamadi Jebali, alors chef du gouvernement, plus précisément le jour de l'assassinat du martyr Chokri Belaïd, un triste 6 février 2013. Rien que pour ces deux incidents majeurs, Ennahdha pourrait en tenir rancœur au locataire du Palais de Carthage pour l'en déloger. Une éventuelle défection ou une absence d'une quinzaine d'élus du parti islamiste, le jour du vote à la séance plénière, et le tour est joué ! Il est à remarquer qu'on reproche à M. Marzouki d'être un homme caractériel et d'humeur, voire carrément «mentalement dérangé » comme n'ont pas hésité à le crier, haut et fort, plusieurs personnalités politiques et même des députés avec à leur tête le doyen des élus, ex-CPRiste de surcroît, Tahar H'mila. Ils sont allés même jusqu'à réclamer qu'il subisse un examen psychiatrique ! Du coup, les observateurs estiment que le parti islamiste préfèrerait, de loin, avoir comme partenaire à Carthage, un homme comme Mustapha Ben Jaâfar qui a toujours ménagé Ennahdha ou, du moins, qui ne l'a jamais dérangé.
En effet, en cas de suite favorable à la motion de censure ou de destitution de Marzouki, ce sera le chef du parti d'Ettakatol qui aura le plus de chance de lui succéder, dans le sens où il bénéficie des faveurs d'Ennahdha. Imaginons, un peu alors, la configuration avec Ben Jaâfar à Carthage, Laârayedh à La Kasbah et Meherzia Laâbidi au Bardo ! Un trio de rêve pour le parti islamiste et pour Ettakatol. Ce dernier ne pouvant entrevoir son salut qu'aux côtés du parti de Rached Ghannouchi, sachant qu'il a fait de l'autre grand parti de l'heure, en l'occurrence Nidaa Tounès, un ennemi déclaré qu'il a dénigré dans une interview accordée le 29 mars 2013, au journal londonien, Asharq Al Awsat. Tout en émettant des doutes quant à la capacité de Nidaa Tounès à remplacer Ennahdha à la tête du pouvoir, M. Ben Jaâfar a indiqué, en substance, qu'il y a « des craintes réelles que ce parti soit un portail pour le retour des RCDistes impliqués dans la corruption, mais la justice transitionnelle les filtrera et nous avons été les premiers à attirer l'attention sur le danger de la contre-révolution». De tels propos sont de nature à faire un plaisir immense à cheikh Rached et son parti. On n'en est pas encore là, mais dans ce cas, la dynamique politique serait sérieusement bouleversée avec l'émergence de nouveaux rapports de force s, notamment, à l'ANC. Mais tout dépendra de la capacité de nuire pour un Marzouki en dehors du pouvoir…