La première loi que Zine El Abidine Ben Ali a promulguée lors de son ascension au pouvoir en 1987 était celle de l'amnistie fiscale. Au fil des ans, c'est ce même régime de Ben Ali qui fermait l'œil sur la fraude fiscale à laquelle certains proches de l'ancien président aimaient à s'y livrer. Le privilège de la sous-imposition arbitraire dont profitaient ces proches a enfanté une forme d'inégalité et d'injustice, en l'occurrence dans les rangs de la classe populaire. Au lendemain de la révolution, cette classe populaire a exprimé son refus de payer ses impôts en riposte à l'arbitraire fiscal justement. Sachant que jusqu'à 2010, les recettes fiscales représentaient 85% des ressources propres. Aujourd'hui, l'impôt et le devoir fiscal sont aux abonnés absents dans les différents débats engagés à l'échelle nationale. Quoique, avec la dernière trouvaille du ministre des Finances, Elyès Fakhfakh, on pourrait croire le contraire. Le 13 mai courant, M. Fakhfakh a annoncé, en effet, la mise en place d'une réforme fiscale structurelle et globale, autrement dit une refonte fiscale décidée récemment. Le ministre des Finances déclare, à l'occasion, qu'il s'agit là d'une priorité pour cette période de transition, et le processus planifié à cet effet s'étalera sur une période de six mois à l'issue de laquelle la réforme sera fin prête. Or selon Fayçal Derbel, les dispositions légales qui régissent la fiscalité n'existent même pas encore car toujours pas discutées au sein de l'Assemblée nationale constituante. De ce fait, comment opérer une refonte fiscale alors que la mouture législative n'est toujours pas conçue ? La fiscalité accroche davantage l'attention et l'intérêt des institutions et des contribuables et à ce titre l'Institut Arabe des Chefs d'Entreprises (IACE) a tenu aujourd'hui 29 mai la première édition du Forum de la Fiscalité à Sfax. Ahmed Zghonda, président de l'IACE, et quelques éminents experts ont pris part à cette manifestation afin d'éclairer l'opinion publique sur les différents mécanismes de la fiscalité ainsi que sur le rôle de l'Etat dans la lutte contre la fraude fiscale. Fayçal Derbel nous a indiqué qu'après la révolution tunisienne, des mesures fiscales urgentes devaient être décidées en vue d'accompagner la période de transition délicate et ce, à plusieurs niveaux : politique, économique et social. Il s'agit d'un système d'amnistie fiscale partielle et conditionnée qui concerne quelques contribuables seulement. Aussi, y a-t-il la mesure de l'abandon de s et de poursuites à l'adresse de contribuables dont la situation est particulière, l'objectif final étant de réussir une meilleure réconciliation. S'ajoutent à cela, les mesures de soutien au profit des entreprises sinistrées par la révolution. Jusque là, la démarche s'annonçait sur la bonne voie quand survient la mesure de la refonte fiscale décidée par le ministre des Finances et qui ne pourra, d'ailleurs, pas se faire en l'espace de six mois avec tout ce qu'elle contient comme dispositions touchant à la TVA, l'impôt sur la société, l'impôt sur le revenu des personnes physiques et notamment les fonds spéciaux de trésors. Le ministère des Finances a consacré une commission qui se chargera de mettre en place la refonte fiscale sans préciser s'il s'agit d'experts nationaux ou internationaux. Pour sa part, Néji Baccouche, enseignant universitaire, précise qu'une fiscalité transitionnelle paraît inévitable et devrait même figurer au premier rang des préoccupations des acteurs politiques afin de garantir la transition démocratique. Aujourd'hui il existe un réel problème de paiement des impôts de la part d'une belle frange de contribuables qui estiment qu'ils n'ont plus à le faire tant que d'autres y échappent. Par d'autres, ils entendent principalement les proches de l'ancien régime ou d'autres favorisés. M. Baccouche souligne que les propos récemment échangés au sein de l'Assemblée nationale constituante (voleurs, indignes) sont révélateurs de la psychose sociale de «corruption » (fêçêd). Tout le monde accuse tout le monde dudit « fêçêd », que cela soit à raison ou à tort. Et parce que accablés par tant d'années d'injustices et d'inégalités fiscales, le contribuable comme l'institution perdent totalement confiance en l'Etat et refusent de régler leurs impôts. Mais encore, l'impunité dont ont joui certains ou la plupart des fraudeurs a incité davantage une certaine catégorie de contribuables à faire défaut au paiement des impôts. Fayçal Derbel nous a confié que la réforme fiscale et la fiscalité transitionnelle sont impératives et indispensables certes. Toutefois, il convient de penser à mettre en œuvre des actions dites pompiers qui sont d'extrême urgence en vue de relancer les investissements et l'activité économique, ce qui sera à même d'augmenter les recettes fiscales. Le directeur de l'IACE district de Sfax, Ahmed Masmoudi, a souligné qu'à l'issue de cette première édition du forum de la fiscalité, une série de recommandations sera transmise à l'Assemblée nationale constituante en plus d'une batterie de réformes proposées pour plus de justice, de transparence et beaucoup moins d'évasion fiscale. D'après les dires de Fayçal Derbel, les députés de l'ANC ne devraient pas s'occuper de légiférer des textes de lois économiques. Cette tâche incombe bien davantage aux experts en la matière qui sont les mieux outillés pour répondre aux attentes du pays au niveau de la relance économique.