Hichem Skik, rédacteur en chef du journal Attariq Al Jadid, et membre dirigeant d'Al Massar, a présidé mercredi 5 février 2014 une conférence de presse à propos du décret 2014-59 du 7 janvier 2014 fixant les procédures d'enregistrement et de dépôt légal. Un décret surnommé décret de la censure puisqu'il exige désormais de tous les éditeurs de livres, de journaux, de journaux imprimés et même de blogs de présenter leurs œuvres avant de les mettre à la disposition du public. M. Skik a rappelé que le décret-loi 115 relatif à la presse énonce bien qu'il faut un dépôt légal, mais on s'attendait à ce que ce nouveau décret vienne expliquer les procédures pratiques. « Or on constate que le dépôt doit être a priori et non a posteriori. » Il rappelle ce qu'il a dû endurer, pendant des années, de cette procédure de dépôt légal lors des années Ben Ali afin de pouvoir distribuer Attariq Al Jadid. « J'ai dû passer des nuits entières à l'imprimerie en attendant le récépissé que les services de l'Intérieur refusaient de donner, se remémore M. Skik. On nous faisait aller et revenir, on nous promettait un coup de fil qui ne venait jamais, on a dû vraiment endurer de ce dépôt légal, jusqu'à ce que Ben Ali le supprime en 2005, suite aux pressions internationales et quelques semaines avant le déroulement du SMSI. Nous avons combattu farouchement cette censure déguisée et nous avons alors été soutenus par plusieurs ONG internationales». Hichem Skik a alerté l'assistance que le dépôt légal a priori ne pouvait que servir à la censure et il n'y a absolument rien d'autre pour expliquer cela, tout en défendant le principe même du dépôt légal, mais à condition que ce soit après la distribution au public et non avant. A certaines voix qui défendent le nouveau décret Laârayedh et prétendent qu'il n'y aura plus de censure après la révolution, Hichem Skik s'est interrogé : « pourquoi alors l'ont-ils fait ? Et ceux qui disent que c'est par inadvertance, je dis que c'est faux aussi et que c'est prémédité, car on voit à la formulation des textes que l'on a exigé l'a priori. » Autre remarque de M. Skik, c'est concernant l'obligation de donner des exemplaires à la présidence du gouvernement. « Le dépôt légal sert à la mémoire collective et de ce fait, il suffit de donner des exemplaires à la Bibliothèque nationale et aux archives. Pourquoi doit-on fournir ces exemplaires à la présidence du gouvernement ? » Quant aux livres importés de l'étranger, il relève l'aberrance de la procédure. « Certains livres sont commandés par des particuliers et le libraire ou le distributeur les commandent en quelques unités vu qu'ils coûtent parfois 200 dinars l'exemplaire. Comment doivent-ils faire pour en fournir six, si l'on doit appliquer à la lettre ce nouveau décret ? » Prenant la parole, Taïeb Zahar, président de la Fédération tunisienne des directeurs de journaux, s'est dit totalement d'accord avec tout ce qui a été dit par Hichem Skik, rappelant sa propre expérience, à la tête de Réalités, face à la censure du temps de Bourguiba et de Ben Ali, à cause du dépôt légal a priori. Il indique ainsi que les services chargés de cette procédure exigeaient la suppression de certaines pages ou de certains articles. « Du coup, on remplaçait ces articles par des pages blanches ou des rectangles blancs, dit-il. Le pire c'est que nos lecteurs quand ils vont au kiosque et remarquent ces pages blanches montrant des articles censurés, ils n'achetaient plus le magazine estimant que les meilleurs articles ne figurent plus. » Taïeb Zahar raconte une anecdote où on a dû l'obliger à retirer d'un article le mot Rambo qui ciblait l'ancien président américain Ronald Reagan. Les autorités ont estimé que c'était une attaque à un président en exercice. L'équipe de Réalités a dû barrer en noir tous les mots Rambo figurant dans l'article et c'est ainsi que le journal a été distribué, puisque l'opération s'est faite à l'imprimerie à la dernière minute. Intervenant en qualité de vice-président de la Fédération des directeurs de journaux, chargé de la presse électronique, Nizar Bahloul a déclaré que pareil décret est dangereux pour tous les sites d'information et impossible à appliquer dans les faits. « Nous nous devons désormais d'envoyer tout article à la présidence du gouvernement avant sa publication. Or la caractéristique de la presse électronique est la réactivité et la publication instantanée de l'information. Comment doit-on faire ? Attendre un récépissé avant chaque article ? Et comment va-t-on envoyer six exemplaires ? En mode numérique ou en mode imprimé ? Et comment peut-on faire pour les articles que nous publions à minuit et une heure du matin ? ». Nizar Bahloul relève que les mêmes procédures sont valables pour les blogs, et les bloggeurs doivent, désormais, envoyer leurs articles à la présidence du gouvernement avant leur publication. M. Bahloul relève que la problématique a été exposée à Abdessalem Zebidi, chargé de la communication à la présidence du gouvernement, qui a promis que les textes d'application de ce décret, en ce qui concerne la presse électronique, feront préalablement l'objet de concertations avec la Fédération des directeurs de journaux et les professionnels du secteur.