On les voit sur tous les plateaux télévisés et dans tous les studios de radios. Ils ne déclinent quasiment jamais l'invitation d'un journaliste et ne ratent aucune occasion pour paraitre dans les médias et parler de leur parti. En dehors des médias cependant, on n'entend plus parler de leur parti, ni sur le terrain et encore moins dans les sondages. Un concept nouveau vient de se créer en Tunisie depuis la révolution, celui des dirigeants de partis qu'on ne voit qu'à la télévision et dans les radios. Ces chefs de partis parlent, théorisent et critiquent. Ils ont une idée sur tout et, à les entendre, ils sont capables de transformer la Tunisie, en quelques mois, en un géant économique. A ceux qui veulent bien les croire, ils disent qu'ils ont des dizaines de milliers de militants. D'autres n'y vont pas de main morte et parlent carrément de tout un peuple prêt à les soutenir et à les porter jusqu'à la magistrature suprême. Ces phrases ont été tellement répétées, qu'ils ont fini par confondre leur rêve matinal, nourri en se rasant devant le miroir de la salle de bain, avec la réalité. Loin des médias, ces dirigeants de partis qu'on appellera « partis unipersonnels » (copyright Business News) n'ont aucune représentativité sur le terrain réel et ne comptent qu'une seule personnalité connue du public. Une fois la télé éteinte, ils reprennent une activité normale, tels des citoyens ordinaires. Aucun bureau régional et vraiment pas de militants pour relayer leurs idées dans la Tunisie profonde. Au meilleur des cas, ils réussissent à faire regrouper autour d'eux une dizaine de personnes dans un café. Ils appelleront ça « un café politique ». Dans les sondages d'opinion, les dirigeants de ces partis sont totalement absents et n'atteignent même pas les 0,5%. Quand on leur pose la question sur cette absence, leur réponse est souvent la même et consiste à mettre en doute les instituts tunisiens. Pourtant, force est de reconnaitre que si les instituts tunisiens n'ont pas encore le professionnalisme requis, leurs chiffres sont plutôt proches de la réalité, contrairement à ce que disait Moncef Marzouki il y a quelques jours à un journal koweïtien. A titre d'exemple, Sigma Conseil a accordé 8,2% au CPR juste avant les élections d'octobre 2011. Le parti présidentiel a obtenu finalement 8,6%. Considérant la marge d'erreur comme étant de 2%, on ne peut donc pas dire que ces sondages sont erronés ou éloignés de la réalité. De toute façon, ce que disent les sondages est plus ou moins ressenti sur le terrain et sur les réseaux sociaux par les observateurs politiques. Au meilleur des cas, ces partis sont plutôt assimilables à de petites associations de quartier, ou des clubs, qu'à de véritables structures politiques. Touhami Abdouli On l'a vu dans trois plateaux télévisés, trois jours de suite cette semaine. Tounesna, puis Nessma, puis Ettounsiya. Touhami Abdouli doit sa notoriété à son ancien poste de secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères duquel il a démissionné avant la fin du gouvernement Jebali. Sur les plateaux télé, il indique sans rire que son « Parti du Mouvement national » compte 40.000 adhérents. Un chiffre astronomique au vu de la composition du paysage politique national où les deux premiers partis du pays (Nidaa et Ennahdha) comptent, chacun, approximativement 100.000 adhérents. Comment cela est-ce possible ? M. Abdouli indique que l'essentiel de ses militants se trouve à Sidi Bouzid. Soit. Mais il est bon de signaler que l'on n'a jamais entendu parler de cela à l'occasion d'un meeting ou d'une réunion publique. A titre comparatif, l'Alliance démocratique qui compte plusieurs députés parmi ses membres (qu'on voit très souvent à la télé comme Mohamed Hamdi, Mehdi Ben Gharbia ou Mahmoud Baroudi), revendique à peine 2.500 adhérents dans ses rangs. Non seulement, Touhemi Abdouli ne fait pas parler de lui sur le terrain réel, son empreinte sur la toile reste très timide et les pages des réseaux sociaux ne s'affolent pas pour relayer ses propos et « prophéties ». Mohamed Abbou Le fondateur du « Attayar » figure parmi ceux qui apparaissent le plus à la télévision. Mais nonobstant son épouse Samia, les autres membres du parti sont totalement inconnus du grand public. A la différence de Touhami Abdouli, Mohamed Abbou a quelques dizaines de « soldats » très actifs sur les réseaux sociaux et connus par leur dénigrement régulier de l'opposition et des « médias de la honte ». Mohamed Abbou doit sa notoriété à son militantisme réel et indéniable de l'époque Ben Ali. Sauf que voilà, le militant d'hier a perdu énormément de son capital sympathie depuis son intégration du gouvernement Jebali duquel il a démissionné en jetant l'éponge. Il a également quitté le CPR pour aller fonder son propre parti. Depuis, il rame. Chantre de la transparence, le site internet de son parti expose les chiffres de ses donateurs et même les noms de plusieurs d'entre eux (certains préfèrent garder l'anonymat). On verra même les petits dons de l'ordre de quatre dinars. Cette transparence cesse de l'être cependant quand il s'agit de montrer des images de meetings organisés devant des salles vides ou lorsqu'il s'agit de communiquer sur les bureaux régionaux. Interrogé par Business News sur le nombre de ses adhérents, une source chez Attayar qui n'a pas souhaité se dévoiler, a botté en touche avant de nous donner, plus tard, le chiffre de 1.000 adhérents. Quand on cherche, par ailleurs, à connaitre les structures du parti sur le site, on trouve des espaces totalement vides dans les rubriques du bureau exécutif, du conseil national et des bureaux régionaux. Ĺa citation tunisienne "il a préparé le tapis avant la mosquée" s'applique ainsi à merveille pour le parti des Abbou. Abdelwaheb El Héni Comme Mohamed Abbou, Abdelwaheb El Héni doit sa notoriété à son militantisme réel et indéniable de l'époque Ben Ali. Mais contrairement à lui, le fondateur du parti « El Mejd » ne se la joue pas chef de grand parti structuré et ne parle pas en usant du « nous ». Il sait qu'il dirige une petite structure et ne cherche pas à tromper le public en laissant miroiter qu'il a des structures et des militants. Il apparait souvent à la télévision, mais il est celui qui donne toujours l'impression de l'homme politique qui a de bonnes idées et « milite » pour son « rêve présidentiel » ou pour un poste ministériel. Son indépendance d'esprit l'empêchant d'appartenir à un parti structuré, où il sera obligé d'obéir à la discipline générale, Abdelwaheb El Héni a choisi cette voie du « parti unipersonnel » et est quasiment le seul du paysage tunisien à l'assumer pleinement. Mohamed Goumani Ancien militant d'Ennahdha (quand il s'appelait MTI), puis du PDP, Mohamed Goumani a créé après la révolution le Parti de la réforme et du développement avec qui il s'est présenté aux élections de 2011 à la tête de 22 listes. Résultat final : zéro siège. Il se joint ensuite à l'Alliance démocratique de Mohamed Hamdi et tente de s'imposer face aux Ben Gharbia et Baroudi. Au lieu de jouer en équipe, il a préféré le solo en négociant, discrètement, une place dans le gouvernement de Laârayedh. Son nom a fuité et il a été invité à quitter le parti. Non seulement, il n'a pas obtenu le poste de ministre de l'Education, mais il a perdu en plus sa place dans l'Alliance. Il parlera alors de tentatives d'isolement de tout son parti. Abderraouf Ayadi Il est celui qui fait le plus de bruit avec son parti Wafa. Militant depuis des années, Abderraouf Ayadi a le chic de parler très souvent au nom du peuple, alors qu'il n'a eu, en tout, que 12.288 voix pour se faire élire aux élections de 2011 sur les listes du CPR. Après plusieurs différends avec les membres de ce parti, dont il est cofondateur, et surtout le fait qu'on lui ait préféré Abdelwaheb Maâtar et Sihem Badi pour occuper un poste ministériel, Abderraouf Ayadi a fini par claquer la porte du CPR pour créer Wafa. Il prendra avec lui quelques membres du CPR et finira par peser avec sept députés dans son mouvement et dix députés dans son bloc à l'ANC. Comme Mohamed Abbou, Abderraouf Ayadi a la particularité de toujours chercher la corruption et les abus en dehors de son propre camp. Les accusations touchant son poulain Azed Badi ? Il les nie en bloc. Des phrases assassines touchant son financier Nasr Ali Chakroun ? Le déni également. Des abus dont on parle au sein du gouvernement d'Ennahdha ? Motus et bouche cousue. Mais combien de militants compte-t-il en dehors de cela ? Le parti compterait environ 5.000 membres selon une dirigeante de Wafa. Où sont-ils sur le terrain ? Ce qui est sûr cependant, c'est que l'on ne voit pas vraiment de dirigeants de Wafa parler au nom du parti en dehors de lui-même et d'Azed Badi. Et il ne figure nullement dans les sondages. Avec lui, on n'est pas dans le parti unipersonnel, mais plutôt bi-personnel. Et la liste est encore longue… La liste des « partis unipersonnels » est encore longue, mais tous n'apparaissent pas souvent dans les médias pour créer l'amalgame et tromper l'opinion publique sur leur véritable poids. On y trouve l'autre démissionnaire du CPR, Tahar Hmila par exemple. On ne lui a connu aucun autre membre de son parti « Iqlâa », ni à la télé, ni dans les réseaux sociaux, ni sur le terrain. Mais c'est chez les islamistes qu'on trouve une floraison de « partis unipersonnels ». A leur tête, Adel Almi qui a créé « Ezzitouna » sans même indiquer le nom de son trésorier, dans le JORT, comme l'exige la loi. Autres dirigeants de « partis » islamistes totalement inconnus, « Dignité et égalité » de Riadh Amri ; « Mouvement national de la Justice et du développement » de Mohamed Rouissi ; « Parti de la Justice et du développement » de Mohamed Salah Hadri ; « Parti justice et développement » de Abderrazak Ben Arbi ; « Rencontre réformatrice démocratique » de Khaled Traouli ; « Parti dignité et développement » de Jihed Barouni ; « Parti de l'Unité et de la réforme » de Ezzedine Bouafia… On le remarque clairement, certains partis ne font même pas preuve de créativité et de recherche pour trouver un nom qui les distingue des autres. De là à leur demander de présenter des projets d'avenir pour sauver le pays… En attendant, ils continuent à arpenter les plateaux de télévision et à tromper l'opinion publique en lui faisant miroiter une image qui n'est pas du tout la leur.