Le rideau vient de tomber sur le premier tour de l'élection présidentielle. La première place a été donnée, comme attendu, au leader de Nidaa Tounès Béji Caïd Essebsi, mais avec un écart relativement faible, alors que les analystes s'attendaient à une marge beaucoup plus large, voire, carrément, à une victoire dès le premier tour. Mais c'était compter sans la tactique et le double langage du parti islamiste d'Ennahdha qui avait pourtant annoncé officiellement qu'il ne soutenait aucun candidat. Lecture d'une issue problématique… Tout le monde s'attendait, du moins dans le camp des Nidaïstes, à un score large en faveur de Béji Caïd Essebsi lors de ce premier tour, et ce pour plusieurs raisons. La première, et elle est la plus importante, consiste en l'espoir que les bases nahdhaouies ne donneraient pas leurs voix au candidat Marzouki, du moins pas de manière aussi importante. En effet, aucune consigne stricte, officielle et publique n'a été donnée de la part des dirigeants du mouvement d'Ennahdha. Cependant, grâce à un mot d'ordre secret pour un vote massif, la machine de ce parti a impeccablement fonctionné auprès des sympathisants comme elle a l'habitude et l'art de le faire. Or, les partisans de Béji Caïd Essebsi tablaient, tellement, sur une abstention des bases nahdhaouies, que la mobilisation dans leur camp n'a pas été maximale. Au contraire, elle a cédé la place à un certain relâchement entraînant un nombre de votants à peine égal à celui obtenu lors élections législatives. Les plus « pessimistes » des Nidaïstes prévoyaient entre 50 et 60 pour cent des voix islamistes qui se porteraient sur la candidature de Marzouki, ce qui permettrait à BCE de « flirter » avec les 50%, d'où l'espoir, secrètement entretenu jusqu'au dernier jour, de remporter le scrutin dès le premier tour. Ceci, du côté de ce qui était prévu et attendu selon les données apparentes. Mais que s'est-il passé réellement ? En analysant les faits concrets et les chiffres qui sont têtus, on s'aperçoit que M. Marzouki a réédité le score réalisé par le parti islamiste lors des législatives. Les partisans du président sortant ont beau se pavaner et s'approprier un suffrage aussi élevé en ayant l'art de nier les évidences. En avançant la fameuse réplique : « qu'est-ce qui prouve ces hypothèses d'un vote nahdhaoui ? », ils persistent à dire qu'il s'agit bien des supporters de leur candidat. Mais en même temps, ces derniers sont incapables d'expliquer ces chiffres similaires à ceux du parti islamiste aux législatives. Plus encore, ils accusent les Nidaïstes d'avoir fait fonctionner la machine des ex-RCDistes face à un Marzouki qui « n'a pu compter que sur le vote spontané des pauvres ». Plus encore, Moncef Marzouki n'hésite pas à se déclarer comme étant, désormais, le candidat du camp démocrate à lancer un appel pour être soutenu lors du prochain tour. A ce propos, il est légitime de se poser la question suivante : où est passé le camp démocrate ? Si Béji Caïd Essebsi a profité du vote des ex-RCDistes et si Marzouki n'a eu que les voix des islamistes, soit plus de 70%, à eux deux seuls, que reste-t-il pour les vrais démocrates ? Même s'il y a de l'exagération chez les uns comme chez les autres, le constat est consternant. D'ailleurs les scores « insignifiants » avec de réels « zéro virgule », les candidats, jadis champions de la lutte pour la démocratie, pour les libertés et pour le respect des droits de l'Homme, ont reçu la déception de leur vie. Déception de laquelle il sera très difficile de se remettre de si tôt. Voici ce qu'il en est du constat et de la lecture des faits et des chiffres. Qu'en est-il des enseignements à tirer pour les uns et les autres en vue du second tour? Il faut relever, tout d'abord, que le parti islamiste d'Ennahdha a prouvé d'une manière irréfutable, en dépit des dénégations de ses dirigeants, qu'il demeure champion en matière de double langage et un maître dans l'action clandestine. En effet, on n'a commencé à s'apercevoir qu'il y a vraiment eu une consigne claire à voter Marzouki, qu'après la prière d'El Asr, dans le sens où après que le clan de Nidaa a déjà crié victoire au vu de l'affluence trop faible durant les sept première heures après l'ouverture des bureaux de vote, un taux d'à peine 30% à 15 heures. Un flux phénoménal de Nahdhaouis a eu lieu, ensuite, plus précisément durant les trois dernières heures faisant doubler le taux de participation qui a, finalement, atteint les 64 % ! Ainsi, les islamistes, qui avaient, selon ces donnes, minutieusement préparé leur coup, laissaient peu ou pas du tout, de temps pour que l'autre camp réagisse et prépare la parade. Les jeux étaient faits et les résultats définitifs n'ont fait que confirmer cette thèse. Maintenant, tout le monde est averti et chaque camp connaît les véritables intentions de l'autre. Et chaque camp va tenter de réussir le meilleur report des voix. Si Marzouki peut compter, éventuellement sur les voix des partisans de Hechmi Hamdi, d'Ahmed Néjib Chebbi, de Mustapha Ben Jaâfar et, peut-être d'une partie de celles de Slim Riahi, BCE peut avoir les voix d'une partie du Front populaire et le plein de celles de Mondher Zenaïdi, de Kamel Morjane et de Larbi Nasra. Ce qui est certain, c'est que Béji Caïd Essebsi ne peut nullement compter sur Ennahdha, alors que le président sortant a essuyé un niet d'El Jabha. Mais si Marzouki a bénéficié de son maximum lors du premier tour, M. Caïd Essebsi est appelé, s'il veut éviter toute mauvaise surprise, à faire huiler sa machine électorale afin de réussir la plus grande mobilisation possible tout en laissant de côté ce comportement triomphaliste qui avait marqué sa campagne lors du premier tour. Et sans vouloir extrapoler, les dernières et les prochaines péripéties de l'élection présidentielle laisseront des séquelles et auront, inéluctablement, des incidences sur la configuration de l'équipe appelée à gouverner. Sarra HLAOUI