Il est des occasions, rares, où l'Histoire place certains hommes devant une responsabilité historique. C'est aujourd'hui le cas de Hamma Hammami. Arrivé derrière Moncef Marzouki et Béji Caïd Essebsi à l'élection présidentielle, Hamma Hammami peut représenter une troisième voie pour des citoyens qui ne se reconnaissent ni en Nidaa Tounes ni en cette nébuleuse pro-Marzouki composée de LPR, d'imams radicaux, de membres d'Ennahdha et du CPR. La gauche tunisienne s'est sortie de ces élections, législatives et présidentielle, avec des résultats honorables. Par contre, le centre gauche tunisien a été laminé par l'épreuve électorale. Ettakatol, Al Joumhouri et Al Massar, principalement, ont montré leurs failles et se sont fracassés contre un certain refus populaire matérialisé par des résultats médiocres. Des résultats qui pousseraient tout chef politique à se remettre sérieusement en question pour ne pas dire, à tirer sa révérence de la chose politique en Tunisie. Hamma Hamma et le Front populaire ont réussi, durant les campagnes législative et présidentielle, à se replacer au centre de la scène politique tunisienne. L'excellente campagne pour la présidentielle de Hamma Hammami a réussit, dans une mesure certaine, à le débarrasser de certains stéréotypes qui lui collaient à la peau depuis des années. L'étiquette communiste n'est plus d'actualité aussi bien dans le programme du Front populaire que dans son discours. Le parti est parvenu à se faire le représentant d'aspirations plus « socialistes » de justice sociale, d'équité fiscale et de lutte contre les inégalités, ce qui rejoint naturellement les objectifs de la révolution. En tant que leader politique, Hamma Hammami et son parti se trouvent devant un défi de taille. Celui de se muer en une force constructrice, porteuse d'un projet viable dénué de tout « romantisme ». La gauche tunisienne doit s'appuyer sur son historique identitaire pour effectuer une mue qui lui permette d'englober des tendances plus « modérées » à commencer par Al Massar pour ensuite atteindre Ettakatol et Al Joumhouri. L'élan électoral est un vecteur crucial dans cette optique. La récente popularité du Front populaire et de Hamma Hammami les placent en position de force vis-à-vis des autres partis. Il est aisé de voir que les protagonistes du deuxième tour n'hésitent pas à faire du pied à Hamma Hammami en espérant un report de voix. C'est d'ailleurs le premier test que devra passer le « nouveau » Hamma Hammami, quelle sera sa position concernant le deuxième tour de la présidentielle ? Pour en revenir aux perspectives d'évolution du Front populaire, un rapprochement avec les partis de la même famille politique peut être un premier pas vers cette mue. Le Front populaire peut entamer cette transition avec Al Massar, politiquement et culturellement proche de lui. Toutefois, la tâche ne sera pas facile. Le Front populaire devra se confronter à deux principales difficultés. La première est le sempiternel problème de la classe politique tunisienne : l'égo. Malgré l'hécatombe électorale, certaines personnalités politiques continuent mordicus à se donner un rôle et une envergure largement exagérés. Les Néjib Chebbi et Mustpha Ben Jaâfar, pour ne citer que ceux là, s'opposeront vigoureusement à toute tentative de « braconnage » sur leurs terres venant du Front populaire, mais on peut espérer qu'ils mettent un peu d'eau dans leur vin après la double gifle électorale reçue aux législatives et à la présidentielle. La question des égos se posera également aux leaders du Front populaire et à Hamma Hammami lui-même. En effet, ils ne doivent pas se montrer arrogants en traitant avec leurs partenaires, l'objectif étant la création d'une « troisième voie » crédible. La deuxième difficulté concernera le Front populaire en lui-même. Pour pouvoir occuper et affirmer un positionnement de centre gauche, il faudra une certaine élasticité d'esprit au parti. Si un tel choix stratégique était fait, certains membres ou leaders du Front populaire pourraient s'inquiéter de voir leur identité propre diluée dans un amalgame hétéroclite de partis. Toutefois, le fait que le Front populaire soit, en lui-même, le rassemblement de plusieurs partis à la base pourrait fournir une plateforme opportune. Hamma Hammami et le Front populaire ont réussi à faire un travail important concernant leurs images et leur positionnement politique ces derniers mois. C'est l'un des partis qui ont le plus évolué ces derniers temps et Hamma Hammami a réussi à transformer son image et à la rendre moins clivante et plus proche de l'opinion publique. C'est un acquis politique sur lequel le parti et le leader doivent capitaliser. P.S : Aujourd'hui, Chokri Belaïd aurait eu 50 ans. Puisse son âme reposer en paix et puissent nos politiciens, tenter, ne serait ce que lui ressembler.