La délivrance. Enfin ! Trois ans que le cauchemar dure et il fallait bien en finir. Le sang de Socrate, de nos dizaines de soldats et de Nagdh, Belaïd et Brahmi a été vengé ce dimanche 21 décembre avec l'éjection par les urnes de Moncef Marzouki. La joie était perceptible hier soir et ce matin chez les Tunisiens sortis spontanément klaxonner dans les rues et crier la victoire. Ils sont sortis « blech flous », ils sont sortis pour dire « fa bihaythou, tahya tounes ». La victoire dépasse, et de loin, celle de Béji Caïd Essebsi et de Nidaa Tounes. Croyant tout comprendre et se prenant pour plus intelligents que les autres, ceux qui se sont abstenus ou ceux qui ont voté blanc, pour manifester un soi disant « ni l'un, ni l'autre », ne mesurent pas que c'est la République qui a été sauvée hier, que les Tunisiens ont éjecté hier ceux qui sont rentrés de l'étranger pour les diviser et insuffler parmi eux une bipolarisation régionaliste, idéologique et religieuse. Non, nous sommes tous Tunisiens et nous vivrons tous ensemble, sans revanche, sans répression et sans potences, en dépit de ce que prétendent les vaincus. La Tunisie sera républicaine et laïque. Elle ne sera ni un califat islamiste, ni un émirat salafiste, en dépit de ce dont rêvent les déchus. Elle sera moderniste ouverte sur son environnement naturel et ne sera jamais rétrograde à la solde du Qatar ou des Emirats. S'il y a un message donné ce 21 décembre par le peuple, ou une majorité du peuple, c'est bel et bien celui-là. La victoire d'hier signifie-t-elle que la mission est accomplie ? Non, loin de là, la date d'hier n'était qu'une étape très importante. Mais ce n'était qu'une étape. Notre camp républicain et moderniste se doit de protéger sa victoire au quotidien. Dans leur campagne électorale, les CPR/Ennahdha/Ettakatol n'ont eu de cesse de diaboliser l'adversaire. A les entendre, la victoire de Béji Caïd Essebsi signifie le retour de la répression et la fin de la révolution. Tous leurs arguments sont basés sur la diabolisation et le retour de l'ancien régime du RCD. Ils ont traité de la pire manière leur adversaire et tous ceux qui le soutiennent : médias, gauche, militants de longue date… Ils se sont autoproclamés propres et intègres pour salir l'autre. La division, encore et toujours, sous prétexte de protection de la révolution. Au diable votre révolution, telle que vous la définissez ! La révolution des Badi, Kahlaoui, Ben Hmidène et Marzouki est une supercherie ! La vraie révolution n'est pas celle que vous revendiquez, ce sera celle que nous allons vous montrer les cinq prochaines années. Notre réelle victoire sera de poursuivre le processus révolutionnaire et de sauver la Tunisie républicaine. Le 14 janvier 2011 après le départ de Zine El Abidine Ben Ali, les défis à relever se résumaient en quelques points : établir une démocratie, s'exprimer librement, assurer une justice et réaliser une équité sociale. Les deux premiers défis ont été relevés et la troïka n'a absolument rien à voir là dedans. La troïka, et spécialement le CPR, ont essayé de faire passer en force une loi d'exclusion afin d'empêcher le processus démocratique et de priver le Tunisien d'élire qui il veut. Ils ont tout essayé pour casser les médias libres et indépendants. Nous n'oublierons pas de sitôt les procès fabriqués de toutes pièces et intentés contre nous, les arrestations abusives et les agressions sauvages (physiques et morales) de journalistes et le fumeux Livre noir de la présidence. Ces deux défis ont été relevés et nous nous devons de les protéger en refusant toute tentative du pouvoir, quelle que soit sa couleur, de revenir en arrière. La démocratie doit toujours primer et la liberté d'expression doit être préservée. Restent les deux autres défis. La justice et l'équité sociale. Pour la première, les seuls capables d'imposer la justice sont les magistrats et les avocats avec la volonté, incontournable, du pouvoir en place d'ôter toute main mise sur eux. Il est impératif d'aider et de pousser Béji Caïd Essebsi à faire de telle sorte que la justice soit indépendante. Les ingérences observées sous la troïka dans l'appareil judiciaire (y compris par la présidence de Moncef Marzouki) doivent cesser définitivement. Le juge ne doit plus jamais recevoir un coup de fil de quiconque. Le dernier défi est l'équité sociale. Avec des taux de pauvreté et de chômage élevés, le chantier est trop gros. Mais il n'est pas du tout insurmontable. La Tunisie n'est pas l'unique pays au monde à avoir des taux alarmants. Jusqu'à un passé récent, plusieurs pays européens avaient des taux encore plus dramatiques. La solution ? Il n'y en a pas 36.000. Le sujet de ce troisième défi sera analysé dans un prochain article, mais il faut savoir que les solutions existent et sont applicables. Et il ne faut pas plus que cinq ans pour les appliquer. Une fois ces quatre revendications principales du 14-Janvier réalisées, on pourra dire que la révolution tunisienne aura réussi. De l'utopie ? Non. Un rêve ? Peut-être. Mais sans rêve, on ne pourra pas avancer. Il faut juste faire la distinction entre le rêve et l'utopie et ne pas promettre ce dont on n'est pas capable. Quand on n'a pas les moyens de sa politique, comme l'a été la troïka, on se doit de s'abstenir de toute promesse. Le peuple a offert hier une belle limousine Mercedes S 55 à Béji Caïd Essebsi tout en lui disant qu'elle n'est pas équipée de marche arrière. Il le sait et il sait parfaitement qu'il n'a qu'une possibilité, aller de l'avant. Même s'il voulait revenir en arrière, il n'aura pas la possibilité. Nous serons là, société civile et médias indépendants, pour le lui rappeler tous les jours, au cas où il oublierait qu'il n'a pas de marche arrière ou que l'un de ses proches lui conseille de faire demi-tour. Nous autres, Maghreb, Réalités, Mosaïque FM, Shems FM, Al Hiwar, Assabah, Akher Khabar ou Business News serons là pour empêcher tout retour en arrière. Les Mouraqiboun, Bawsala, ATIDE, HRW et autres organisations actives de la société civile seront là pour empêcher tout demi-tour. Il est impératif de préparer la victoire de « dans cinq ans » dès maintenant et montrer que ceux qui ont soutenu Nidaa Tounes croient, eux aussi, à la révolution, à la justice, à la démocratie et à la liberté d'expression. Il faut leur montrer que ceux qui ont soutenu BCE ne sont ni revanchards, ni dictateurs. Les vainqueurs d'hier, dimanche 21 décembre 2014, doivent tourner définitivement la page de toutes les dictatures et les idioties du passé, s'étalant de 1956 au 20 décembre 2014. P.S : Titre emprunté à Lotfi Beznaïguia, leader d'Al Joumhouri