Enfin, la Tunisie est dotée d'un gouvernement, ou presque, issu des dernières élections législatives du 26 octobre 2014. Mais ce gouvernement devra attendre le passage obligé devant l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) en vue d'obtenir le vote de confiance. Ainsi, il pourra procéder à la passation, prévue et annoncée, pour le mercredi 28 janvier 2015 avec le gouvernement de Mehdi Jomâa. Suite à une lecture préliminaire dans la composition du premier gouvernement de la deuxième République plusieurs remarques et constats s'imposent. Des points semblent être positifs, d'autres le sont beaucoup moins. Et de prime abord, ce sont, surtout, les points d'interrogations soulevées par la nouvelle équipe gouvernementale qui laissent planer des doutes quant à ses chances de réussite. Le premier constat est contradictoire avec ce qui était prévu. En effet, on s'attendait à la plus large coalition possible de représentants de partis politique et un nombre réduit de technocrates indépendants. Mais, finalement, on se retrouve avec l'alliance la plus réduite possible entre Nidaa Tounès et l'Union patriotique libre (UPL), alors que les indépendants technocrates et ceux appartenant à la société civile en constituent la majorité des membres. Pourquoi on en est arrivé là ? Les observateurs estiment que la faute incombe à Nidaa Tounès qui n'a pas été conséquent avec ses principes énoncés au départ, depuis sa création et durant les campagnes avant les législatives et la présidentielle. Faisant baser toute son argumentation sur l'opposition entre deux projets de sociétés et criant tout haut que tous ceux qui voteraient contre Nidaa feraient le bonheur d'Ennahdha, Béji Caïd Essebsi et son équipe laissaient croire qu'ils ne pouvaient, en aucun cas, faire bon ménage avec le parti islamiste. Plus encore, après les élections législatives, BCE disait en substance : « On s'alliera avec les gens et les formations politiques qui nous ressemblent ». Or, dès le lendemain de la présidentielle et son élection à la magistrature suprême, Nidaa et son chef ont changé de ton en laissant entendre que tout est possible, qu'il faut gouverner avec tout le monde et n'exclure personne, ce qui a créé des vagues voire des réticences chez les « amis » dans les autres partis, notamment le Front populaire et, à degré moindre, Afek Tounès et l'UPL. La rivalité s'est déplacée, ensuite entre l'UPL et Afek quant au nombre et à la nature des portefeuilles à chacun d'eux entraînant le gel de la participation du premier cité aux tractations avant de revenir à la charge, vingt quatre heures après, pour décrocher trois postes qui semblent l'avoir satisfait. Avec les départements des Investissements, du Tourisme et des Sports, le parti de Slim Riahi juge qu'il a été « honnêtement » récompensé. Par contre, Afek estime qu'il a été floué car, en dépit du nombre réduit de sièges obtenus à l'ARP, soit la moitié de ceux engrangés par l'UPL, il reste persuadé que son parti a un poids autrement plus consistant et mériterait, par voie de conséquences, des postes plus importants aussi bien en nombre qu'en envergure. Et devant le blocage sur ces points, Afek a préféré se retirer et ne pas faire partie du cabinet d'Habib Essid. Pour revenir à Ennahdha, certains avancent que le chef du gouvernement chargé lui a proposé des postes tellement « insignifiants qu'il était sûr de son refus, ce qui constitue une manière indirecte et détournée pour écarter le parti islamiste. Un calcul qui s'est avéré, en fin de compte, payant puisqu'Ennahdha ne figure pas au sein de l'équipe de M. Essid. Reste Nidaa Tounès qui a récolté une belle moisson, mais sans oublier qu'il n'a pas respecté la clause qui a été émise par Béji Caïd Essebsi en personne quant à la non participation des élus appartenant à Nidaa au sein du gouvernement. Mais là, aussi, il semble que les « Barons » de Nidaa sont parvenus à imposer leurs desiderata en intégrant le gouvernement pour certains d'entre eux, à l'instar de Lazhar Akremi, Saïd Aidi et Selma Elloumi Rekik. Et outre Touhami Abdouli, qualifié de « nidaïste » pur et dur, et qui s'en est sorti avec un poste de secrétaire d'Etat, on notera la présence de deux autres hauts cadres de Nidaa, à savoir Mahmoud Ben Romdhane et Slim Chaker, les deux architectes du programme économique et social du parti de BCE. L'autre fait saillant consiste en la présence renforcée des indépendants dont notamment ceux ayant accaparé les ministères de souveraineté avec les Farhat Horchani au département de la Défense, Mohamed Najem Gharsalli à l'Intérieur et Mohamed Salah Ben Aissa à celui de la Justice. Ainsi, hormis le ministère des Affaires étrangères, revenu à Taïeb Baccouche, les trois autres ont été confiés à des indépendants. Pour les indépendants, il y a lieu de souligner la présence d'indépendants appartenant, notamment, à la société civile, en l'occurrence les Kamel Jendoubi, Khedija Cherif, Mejdouline Cherni, etc. On signalera, également, la présence d'un quota de neuf femmes au sein du nouveau gouvernement, ce qui signifie un respect des engagements pris dans ce sens. De même pour le nombre global des membres du cabinet il s'est élevé à quarante, soit un chef, 24 ministres, un secrétaire général et 14 secrétaires d'Etat. A part des lectures neutres, certaines critiques ont commencé à fuser dont celle criant au conflit d'intérêt suite à la nomination de Maher Ben Dhia en tant que ministre de la Jeunesse et des Sports alors que le président de son parti, Slim Riahi, est président du Club Africain, ce que le ministre concerné estime un faux argument dans le sens où le ministère n'intervient nullement dans les affaires des fédérations sportives et, encore moins, dans celles des clubs. Reste, enfin, la question cruciale si le gouvernement, avec la présence de représentants de deux partis seulement, parviendra à passer l'obstacle du vote de confiance à l'ARP ou non. En effet, un simple calcul donnerait 102 voix (celle des élus de Nida et de l'UPL). Certains misent sur d'éventuels ralliements de la part de députés nahdhaouis et « jabhaouis » et restent persuadés que l'obtention d'une dizaine de voix supplémentaires n'est pas difficile à réaliser. Mais est-on sûr que Nidaa va faire le plein des voix de ses élus ? Une question et une inconnue qui seront élucidées le jour du vote de cette fameuse confiance.