Le gouvernement dont la composition sera annoncée dans quelques heures aura le mérite de clore le suspens devenu intolérable et pesant. Pour le reste, il risque de n'apporter que des questions et des inquiétudes supplémentaires quant à sa viabilité et sa capacité à affronter les dossiers majeurs et urgents qui représentent les maux du pays et qui interpellent depuis longtemps, trop longtemps nos politiques. A force de sectarisme, de petits calculs et d'opportunisme, ces derniers se montrent incapables de se hisser à la hauteur de la gravité de l'instant historique vécu par le pays et renvoient au mieux une piètre image d'apprentis sorciers. C'est pourquoi le prochain gouvernement d'Habib Essid sera handicapé dès l'annonce de sa composition par la manière avec laquelle il a été pensé, par l'absence d'une logique interne, claire qui l'anime et le consolide et surtout par l'incapacité de ceux qui l'ont décidé de transcender leurs petits intérêts partisans et sectaires pour élargir le champ de leurs réflexions à l'échelle de la nation. En effet, l'une des difficultés essentielles que le chef de gouvernement désigné n'a pas réussi à clarifier est la nature exacte de son gouvernement. Est-il un gouvernement politique ou de compétences ? Est-il un gouvernement d'unité nationale ou de coalition partisane ? Est-il un gouvernement de grandes réformes ou de gestion des affaires ? Sur un plan plus problématique, ce gouvernement aurait dû définir les limites de son adhésion à la cartographie politique telle que redéfinie à l'issue des résultats des législatives du 26 octobre dernier sans trahir les voix de ceux qui ont voté pour le Nida lors de ces législatives. En d'autres termes, ce gouvernement peut-il se prétendre d'être le gouvernement du Nidaa tout en intégrant des ministres islamistes ? Peut-il réclamer une affiliation politique au Nida alors que les nidayistes sont minoritaires au sein de ce gouvernement, écartés de la présidence du gouvernement et éloignés, presque d'une manière systématique, des ministères régaliens ? Il est vrai que Nidaa lui-même participe aux difficultés d'Habib Essid tant les dirigeants du Nidaa se montrent divergents, partant dans tous les sens, manquant de cohérence et d'unité sur les questions fondamentales et démontrant chez certains des élans individualistes et opportunistes. Seul Béji Caïd Essebsi semble garder la tête froide et par conséquent le cap. Seul Taieb Baccouche semble être décidé à défendre jusqu'au bout le projet moderniste et progressiste initial du Nida. Il est vrai aussi que les islamistes ont bien manœuvré tout au long des consultations autour du gouvernement laissant entendre à chaque fois qu'ils feront partie de la composition gouvernementale ce qui a pour effet immédiat d'attiser les divergences au sein de Nidaa, de radicaliser la position du Front populaire et d'irriter les partis proches du Nida comme l'UPL et Afek. La position des instances dirigeantes d'Ennahdha n'a pas empêché les leaders islamistes, notamment Rached Ghannouchi de continuer de développer un double discours déroutant pour ses autres partenaires politiques. Pourtant, cet écueil aurait pu être évité dès le départ si on avait répondu aux questions énumérées ci-haut. Il aurait pu être écarté si dès le départ, un noyau dur formé par des partis politiques alliés s'était formé. Ce noyau dur sera formé par Nidaa bien entendu et l'UPL ou Afek ou les deux à la fois. Autour de ce noyau se formerait par la suite une coalition avec des partenaires politiques pour constituer le nouveau gouvernement. Ces partenaires seraient ou bien le Front populaire, ou bien Ennahdha mais pas les deux à la fois pour ne pas tomber dans ce schéma hybride de gouvernement d'unité nationale qui dilue les responsabilités et rend la tenue des élections improductive. En somme, encore une fois et après trois mois des élections législatives, le pays se retrouvera pressé par les délais et l'objectif de tous sera détourné des questions de fond pour ne se concentrer que sur la composition gouvernementale et ses chances de passer le test du vote de confiance du parlement. On oubliera, ou on feintera d'oublier, jusqu'à la prochaine crise sociale, que le pays n'a cure des arrangements entre les politiques et que les questions brulantes risquent de devenir incendiaires.