Les divergences au sein du parti au pouvoir Nidaa Tounes éclatent au grand jour. C'était prévisible, mais les raisons sont différentes de celles qu'on prévoyait. On s'attendait à des guerres intestines à propos des postes de leadership au sein du parti et du pouvoir, mais les différends ont éclaté à cause de l'entrée, ou pas, d'Ennahdha. On a même vu une petite manifestation, devant le siège du parti, pour dénoncer l'entrée des islamistes au gouvernement. Plusieurs personnalités du parti, et de la gauche, ont fait part de la même position. Ces divisions dans l'opinion quant à l'entrée des islamistes au pouvoir n'ont pas été exclusives aux leaders de Nidaa, mais se sont élargies aux militants, sympathisants et électeurs du parti. Même au sein des rédactions, la division était présente et Business News est un exemple avec des chroniques d'opinion où l'on était totalement opposés. D'un point de vue purement démocratique, ce débat sur l'entrée ou pas d'Ennahdha au sein du gouvernement, fait plaisir. Après des décennies de dictature (ou de despotisme éclairé, appelez-la comme vous voudrez), il était temps qu'on ait ce type de débats dans le paysage politique tunisien. D'un point de vue humain, ce débat ne fait pas plaisir. Car durant des décennies, ces islamistes étaient exclus, de fait, du paysage politique. Alimenter le débat pour les exclure, alors qu'ils représentent la deuxième force du pays, est tout simplement indécent, surtout quand on a défendu, durant les trois dernières années, le principe de la non-exclusion des RCDistes. Seulement voilà, en politique, il n'y a pas d'humain qui prime. Il n'y a que la stratégie politique qui prévaut. La tactique, dirait Rached Ghannouchi. On peut opposer tous les principes, allant de ceux qui disent qu'on ne doit jamais faire confiance aux islamistes (qui ont une idéologie à défendre coûte que coûte et pas un pays ou une démocratie) jusqu'à ceux qui refusent l'exclusion et croient en la « tunisification » des « frères », la règle en politique demeure la même : la stratégie pour atteindre son objectif final. Revenons un peu en arrière, au début de l'année 2012, lorsque les islamistes ont pris les rênes du pouvoir et ont commencé à semer leur zizanie, leur amateurisme, leurs pions et toutes leurs bêtises. L'Etat, à cause d'eux, allait vers la décrépitude et on est allé jusqu'à parler de guerre civile. En cette période, pas si lointaine, on était en train de défendre un film au cinéma, une exposition artistique et on criait au scandale quand des voyous barbus crachaient sur les visages de nos éminents professeurs Zyed Krichen et Hamadi Redissi. En cette période, nos éminents professeurs Raja Ben Slama et Olfa Youssef étaient insultés du matin au soir par des vauriens (barbus). En cette période, des analphabètes nous apprenaient, sur les plateaux de télévision, le sens noble du « djihad » et nous traitaient de mécréants, de vendus, de corrompus et d'ennemis de la religion. En cette période, nos ministres s'appelaient Lamine Chakhari, Mohamed Ben Salem, Sihem Badi, Slim Ben Hamidène et Mohamed Abbou. Les conseillers à la présidence de la République s'appelaient Samir Ben Amor et Imed Daïmi. Plus bas que cela, tu meurs, et la Tunisie a alors atteint ce plus bas niveau. C'était en 2012, cela fait à peine trois ans ! Et en cette période, les partis de l'opposition se livraient d'extraordinaires guerres d'ego et discutaient des sexes des mouches. Nos « militants » des partis de la « gauche » parlaient de tout, sauf d'une stratégie efficace pour éjecter la troïka du pouvoir et sauver le pays. C'est en cette période que Béji Caïd Essebsi est arrivé avec son projet de Nidaa Tounes et son objectif de sauver le pays du projet diabolique des islamistes et des folles intentions des CPRistes. Plusieurs lui ont alors ri au nez. Ainsi donc ce « vieux » va réussir tout seul là où toute l'opposition a échoué ? On connait le résultat deux ans et demi après. Béji Caïd Essebsi n'est ni un Zorro, ni un Messie, mais il s'est comporté comme tel. Nul n'est prophète en son pays, mais il faut avouer et ne pas avoir peur de dire que c'est grâce à lui que la Tunisie a été sauvée des griffes islamistes et des folies CPRistes. On est loin, bien loin, de leur chariâa, de leurs potences et de leur « nikah ». Son objectif déclaré d'il y a trois ans a été atteint. Nos dix millions d'experts en politique ont, quand même, des choses à redire et discutent, aujourd'hui, du bien-fondé de sa stratégie politique pour atteindre son objectif suivant qu'est le redressement du pays. Pour mettre à exécution cet objectif, le président Caïd Essebsi a nommé Habib Essid à la tête du gouvernement. Contrairement à ce que prétendent nos dix millions d'experts, M. Essid est loin d'être une marionnette entre les mains de son président. Il n'est pas un Hamadi Jebali qui embrasse le front de son chef, ni un Mohamed Ghannouchi qui ne sait pas dire non. Loin de là. Il suffit de le connaitre ou d'interroger ses proches pour savoir qui est Habib Essid. Béji Caïd Essebsi a montré le chemin à suivre et l'objectif à atteindre et c'est à Habib Essid de conduire le véhicule pour réaliser les objectifs de son patron. Et dans cet objectif à atteindre, et ceux qui connaissent bien BCE le savent, il y a le redressement du pays en priorité (sur les plans économiques et sécuritaires notamment) et faire de telle sorte à ce que les islamistes ne reviennent plus jamais au pouvoir. Nos experts en politique regardent et contestent le court-terme. Un comportement identique à celui qu'ils avaient au début 2012. BCE joue les moyens et longs termes, en usant de la politique des étapes chère à Habib Bourguiba et son comportement est identique à celui du début 2012. Vous ne voulez plus des islamistes au pouvoir ? Vous ne les aurez pas ! Il suffit juste de faire confiance à celui pour qui vous avez voté et de patienter, sachant que la présence de deux ou trois ministres nahdhaouis au gouvernement, ne signifie nullement qu'ils sont au pouvoir. Nous avons plusieurs élections dans les périodes à venir et l'exclusion d'Ennahdha aujourd'hui signifie son retour, par les urnes, demain. Qu'on y réfléchisse un peu ! BCE n'a pas et n'aura pas de chèque en blanc. Mais il mérite amplement, vu ses réalisations et ses preuves, qu'on lui fasse confiance quelque temps. Le temps de bien comprendre sa stratégie et d'assimiler l'idée qu'il fera tout pour que la Tunisie ne connaisse plus jamais la « misère » politique qu'elle a connue durant la période de la troïka.