Cette semaine, on doit commémorer le troisième anniversaire de l'assassinat de Chokri Belaïd. Avec la formation d'un nouveau gouvernement où Nidaa Tounes et Ennahdha sont alliés le sujet d'une chronique était tout trouvé. Mais le Jordanien, ils l'ont brûlé vif ! Le Jordanien c'est un pilote de chasse qui avait été capturé par Daech. Après avoir été détenu un certain temps, il a été brûlé vif dans une cage. On se retrouve à comparer deux horreurs, deux meurtres abjects, comme si c'était devenu une partie de notre quotidien. La mort, dans sa forme la plus horrible, fait partie de notre vie. Le Jordanien s'appelle Muath El Ksessba, il est âgé de 26 ans. Le présent s'impose car on ne croit pas encore à sa mort, ou plutôt à la manière dont il est mort. Il faut dire que brûler vif un homme enfermé dans une cage est une innovation de plus dans l'horreur à mettre à l'actif du groupe de dégénérés appelé Daech. L'expression « ceci dépasse l'entendement » prend tout son sens avec cette barbarie. Quelle haine, quelle rage, quelle idéologie, quelle religion peuvent justifier un tel traitement ? Ceux qui ont fait subir ce sort au pilote jordanien ont fini, depuis un moment, d'être humains. Les comparer à des animaux serait également une insulte à la faune mondiale. La Jordanie n'a pas tardé à riposter et a décidé d'exécuter certaines personnes accusées de terrorisme. La peine de mort a été prononcée à leur encontre. Mais ce n'est pas la bonne réponse. Qu'il aurait été beau d'organiser une marche républicaine à Amman en Jordanie pour dénoncer cette violence et pour montrer la solidarité de tous les musulmans contre ce mal appelé Daech. Pourquoi un dessin peut-il déclencher la rage de tous les musulmans à travers le monde alors qu'une telle horreur ne déclenche rien ? Pourquoi la vue des horreurs de Daech ne déclenche pas une vague internationale de contestations ? Comment peut-on se sentir en tant que Tunisiens quand on sait que l'on fournit le plus gros du contingent de terroristes en Syrie ? S'il s'était agi d'un dessin du prophète on aurait assisté à la tenue de manifestations partout dans le monde musulman. S'il s'était agi de la rédaction décimée d'un journal satirique on aurait vu une marche de chefs d'Etat. Mais là, on se contentera d'une vague d'indignation virtuelle et on passera vite à autre chose, puisqu'une horreur en chasse une autre. Dans ce monde que nous avons créé, on se retrouve à faire la plus indécente des choses : comparer les horreurs et les malheurs. De Chokri Belaïd à Charlie à Muath aux décapitations, aux soldats égorgés et tués, on ne sait plus où donner de la tête. S'indigner est devenu un luxe et à force d'être bombardé d'horreurs, on s'habitue. Et c'est là notre catastrophe. On ne s'indigne plus, on ne conteste plus, on ne se défend plus contre cette violence qui nous est tous les jours desservie. On fait avec et on attend la prochaine horreur. Entre temps, rien n'est fait pour y mettre un terme. En fait, petit à petit, on s'habitue à la présence de Daech, on s'habitue à sa barbarie et on se dit que tant que ça ne nous touche pas… Il a fallu une rumeur faisant état de la décapitation de Sofiène Chourabi et de Nadhir Guetari, journalistes tunisiens kidnappés en Libye, pour qu'il y ait un certain sursaut, pour qu'on réalise que « ça n'arrive pas qu'aux autres ». En attendant, l'histoire de Muath passera après un petit coup d'indignation et on attendra, sans le dire, la prochaine catastrophe. Lâches que nous sommes tous.