Sujet tabou par excellence, la sexualité en Tunisie est entourée des carcans imposés par une société conservatrice. La normalité est de mise : couples hétérosexuels et pratiques dans le cadre de la vie conjugale, et on attend des jeunes qu'ils s'abstiennent de toute relation avant le mariage, une exigence visant tout de même les femmes plus que les hommes. Mais la réalité est tout autre, et les Tunisiens, notamment avec l'expansion d'internet et des réseaux sociaux, contournent allégrement ces interdits. Parlons sexualité! Une curieuse annonce mise en ligne par le site tunisien, Annonces-tn à propos d'un casting pour le tournage de films pornographiques, n'a pas fini de susciter la polémique. Entre indignation et amusement, les Tunisiens en ont discuté dans les bureaux, les cafés ou au sein des familles. Le sujet a dépassé son confinement habituel au cercle privé, pour accéder à la sphère publique. C'est que le scandale est de taille. De la pornographie en Tunisie et des apprentis acteurs Tunisiens ? « Que Dieu nous préserve de cette déliquescence morale! », s'exclament certains. Mais l'hypocrisie est aussi de taille. Il faut le dire, les Tunisiens sont accros au sexe à travers le web. Et c'est l'Observatoire tunisien des couples et de la famille qui le confirme dans une enquête menée en 2014, attestant que plus de 100.000 requêtes sur le mot « sexe » dans le moteur de recherche Google sont enregistrées quotidiennement, alors que 5 millions de Tunisiens consultent chaque mois des sites pornographiques.
Les personnes choquées par l'annonce du casting pour films pornographiques, l'ont été plus par la facilité avec laquelle, des jeunes et des moins jeunes, se sont affichés ouvertement pour postuler. Sans aucune gêne et n'ayant cure des qu'en-dira-t-on, des Tunisiens intéressés par l'offre s'enquièrent des modalités du recrutement sur la page Facebook dédiée au casting. Certains se sont dits d'autant plus enthousiastes et motivés car ayant la possibilité de réaliser leurs fantasmes tout en pouvant tourner à visage couvert. Un petit tour sur les réseaux sociaux, et particulièrement Facebook, et l'on peut constater que les pages et groupes tunisiens, dédiés au sexe, fleurissent. De la page généraliste présentant un espace où l'on pourra discuter librement de sexualité, en passant par les groupes à caractère commercial, proposant toutes sortes de gadgets érotiques, aux groupes privés consacrés à des tendances et penchants sexuels spécifiques, on trouvera de tout.
Sur une page dédiée exclusivement aux adeptes du plaisir sado-maso, une panoplie d'accessoires attire notre attention : des menottes, des déguisements en semi-cuir ou en latex dans toutes les couleurs, des cravaches et des fouets ou autres coffrets pour « bondage » (pratique qui consiste à attacher son partenaire lors d'un rapport sexuel), harnais, pinces et baillons, proposés à la vente pour la plus grande joie des initiés. Espace d'échanges et de rencontres pour la communauté S/M tunisienne, où les adeptes s'expriment sur leur expérience et cherchent à entrer en contact avec des personnes ayant le même penchant. « Homme d'âge mûr, soumis, cherche maîtresse dominatrice », l'annonce est assez directe, la personne s'affiche avec son profil Facebook et d'autres répondent. Prenant en compte la localisation géographique, des sous-groupes sont créés pour les différentes régions du territoire tunisien.
Nous avons pu entrer en contact avec l'une de ces personnes, fidèle aux pages et groupes S/M, qui a daigné nous accorder un bref témoignage : « Avant Facebook, je vivais mal mon penchant et je n'arrivais pas à trouver un partenaire qui puisse le partager avec moi. Maintenant, je trouve mon compte et je suis épanoui ».
L'avènement des réseaux sociaux a vraisemblablement facilité le contact entre les différentes personnes qui n'avaient aucun moyen de se rapprocher, vu les interdits sociaux. Toutefois, le constat est que les Tunisiens se lâchent sans crainte et sans se soucier du poids de la société derrière leurs écrans. La communauté homosexuelle peut se rencontrer et prévoir toute sorte d'événements sur les groupes, pour la plupart fermés ou secrets, loin des préjugés et de l'homophobie qui caractérisent une grande majorité du peuple tunisien. L'homosexualité étant interdite par la loi en Tunisie et très mal vue par la société, nos compatriotes gays et lesbiennes s'affranchissent de ces chaînes au sein de ces groupes. Jeune homosexuelle, Rim nous confie qu'elle a trouvé l'âme sœur grâce à Facebook : « Au début je ne cherchais que des partenaires et des relations sans lendemains, vu le contexte homophobe en Tunisie. Et puis j'ai rencontré mon actuelle copine. On avait des discussions interminables et petit à petit on est tombées amoureuses. Vous savez cela est arrivé sans qu'on s'y attende et on ne se serait peut-être jamais rencontrées sans ces groupes ».
Nous le savons tous, en Tunisie les boutiques de vente de sextoys, d'objets érotiques et de jouets sexuels en tout genres sont strictement interdites et ce pour cause d'atteinte à la morale et aux bonnes mœurs. Les hommes et les femmes voulant se procurer ce type de gadget, devaient les acheter à l'étranger ou demander à quelqu'un de proche d'en ramener. Mais ça, c'était avant Facebook ! Des multitudes de pages et de groupes se révèlent être de véritables sex-shops en ligne, et il y en a pour tous les goûts. Sur ces pages également, les clients potentiels demandent des conseils ou un avis sur tel ou tel accessoire ou encore sur les prix affichés. Il y en a qui disent acheter ces gadgets pour leur propre plaisir et d'autres pour pimenter leur vie de couple, alors que d'autres le font parce que insatisfaits de leur partenaire, tout cela au vu et au su de tout le monde. Il y en a aussi qui profitent de cette aubaine, pour proposer certains services coquins, comme ce masseur qui propose ses services de « bien-être » à domicile. Et ça consiste en toute une gamme de massages au choix et de stripteases, pour le bonheur de ces dames.
On s'émancipe en Tunisie, les réseaux sociaux aidant ! Mais tout cela reste tout de même englué dans ce phénomène d'hypocrisie sexuelle qui caractérise si bien notre société, dans un pays où plus de la moitié des femmes tunisiennes (68%) et 80% des hommes ont eu des relations sexuelles hors mariage. Entretemps, face aux lois liberticides, à la morale, aux tabous et aux préceptes religieux qui répriment toute notion de liberté sexuelle, un certain pan de la société s'amuse comme il peut, en donnant un coup de pied aux grands interdits.