La Loi 52 relative à la consommation de cannabis, en vigueur depuis 1992, est jugée liberticide par de nombreux acteurs de la société civile. Responsable de l'incarcération du tiers des prisonniers, il s'agit en effet de l'un des rares textes de loi à exclure toute circonstance atténuante. Alors que l'actuel ministre de la Justice annonce une réforme imminente et promet une dépénalisation pour les premiers consommateurs, ses défenseurs estiment que le projet reste peu suffisant et pointent du doigt des articles sujets à controverse. « Le projet de la Loi 52 rompt avec la rigueur exagérée de la loi actuelle datant de 1992 […] Les sanctions d'un an de prison et de mille dinars d'amende [NDLR : infligés aux consommateurs pour la première fois], ont été abolies », a annoncé le ministre de la Justice, Mohamed Salah Ben Aïssa, dans une déclaration aux médias. Voilà de quoi satisfaire les détracteurs de cette loi, jugée liberticide.
En effet, en Tunisie, pour un simple joint, plusieurs jeunes gens se sont vus flanquer d'un casier judiciaire et ont dû dire adieu à leur bulletin numéro 3. Etudiants, pères de familles, mineurs, brillants cadres ou fonctionnaires rangés, tout le monde y passe. « Sur 25.000 détenus, 8.000 l'étaient pour infraction aux stupéfiants, la plupart pour consommation », a déclaré l'ancien directeur général des prisons, Habib Sbouï, au journal français Libération en citant les chiffres de septembre 2013. En effet, la loi n°92-52 du 18 mai 1992, plus connue sous le nom de Loi 52, relative à la consommation de drogue, est la cause l'incarcération du tiers des personnes croupissant en prison. Cette loi stipule que la peine minimale est d'un an d'emprisonnement et de 1.000 dinars d'amende pour tout consommateur. Cette loi ne fait cependant pas de distinction entre les récidivistes et ceux qui fument de l'herbe pour la première fois et n'admet aucune atténuation de peine prévue dans le code pénal. L'article 4 de la Loi 52 stipule : « Sera puni de l'emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de mille à trois mille dinars, tout consommateur ou détenteur à usage de consommation personnelle de plantes ou matières stupéfiantes, hors les cas autorisés par la loi. La tentative est punissable ».
Seulement voilà, la réforme proposée par le ministère de la Justice et approuvée en conseil des ministres est loin d'avoir le succès escompté. Une de ses dispositions est même qualifiée de dangereuse. La loi offre en effet au juge la latitude et la liberté de préconiser le verdict selon un ensemble de critères bien déterminés. Ghazi Mrabet, membre du collectif Al Sajin 52 (Prisonnier 52), estime que la réforme annoncée reste insuffisante. En effet, l'avocat a affirmé aujourd'hui, dans une déclaration aux médias, que le nouveau projet de loi devrait prévoir la liberté conditionnelle pour les consommateurs et accorder, aussi, aux récidivistes la faveur de bénéficier d'une peine allégée.
Cette loi qui se dit morale et préventive fait partie de l'arsenal répressif de l'ancien régime. Elle était, et est encore, souvent appliquée dans les quartiers populaires où des contrôles d'identité sont fréquents. Elle peut même être un moyen de « se venger » des jeunes « impertinents » qui oseraient s'attaquer aux membres des forces de l'ordre durant leur exercice. De l'autre côté, les jeunes « riches » ou « aisés », peuvent s'en sortir à bon compte et se voient blanchis, moyennant arrangement.
Par ailleurs, cette loi dont la sévérité est expliquée, par ses défenseurs, par une volonté de lutter contre ce fléau, prévoit tout un chapitre consacré à la guérison. Son article 19 stipule que : « la juridiction saisie de l'affaire peut, en cas de condamnation du toxicomane conformément à l'article 4 de la présente loi, soumettre le condamné à un traitement de désintoxication pour une période fixée par le médecin spécialisé ». Une disposition qui n'aurait jamais été appliquée selon Me Ghazi Mrabet.
En réalité, aucune volonté politique n'existe pour limiter réellement et efficacement la consommation de cannabis et protéger les jeunes du fléau de la drogue. Cette loi répressive n'est nullement accompagnée de mesures servant à garantir la guérison et le sevrage des toxicomanes. On se contente de les emprisonner. Comble de l'ironie, des jeunes ayant fumé un seul joint, pour la première fois, se retrouvent incarcérés pendant une année à côtoyer des toxicomanes.
La dépénalisation du cannabis reste encore tabou en Tunisie et ne semble pas encore prête à voir le jour au vu du débat actuel. Et pourtant, grâce à un cadre moins répressif et une attention plus focalisée sur les soins et la prévention, la Tunisie pourrait réussir efficacement à limiter la consommation. D'autres pays pratiquant également une politique de répression contre l'usage de stupéfiants ont constaté l'échec de cette méthode. En France, par exemple, une étude du think tank Terra Nova, publiée par le journal Le Monde, fait ressortir que « malgré l'arsenal répressif, la consommation de cannabis en France est l'une des plus élevées d'Europe ». Ceci dit, en Tunisie, la prévention coûterait encore plus cher à l'Etat et la répression s'avère être plutôt lucrative. Les amendes permettent de renflouer des caisses vides et la corruption qui sévit autour des procès liés à la « zatla » est galopante…