Une cité flottante pour désenclaver la petite ville de Korbous et en faire une destination touristique pour les plus nantis, voilà le dernier projet sorti des tiroirs. On tente de nous rassurer en mettant en avant que ce projet devrait « préserver les montagnes, les zones forestières et l'écosystème en général». Au nom de la "relance économique" d'un secteur bien remis en cause et dont les choix passés ont pourtant été plus que contestés et contestables, on n'hésite pas à proposer une solution qui peut être résumée en une phrase: un crime contre le patrimoine naturel de la région du Cap Bon. Après avoir fait disparaitre une partie des terres agricoles du côté de Hammamet notamment, après avoir touché à quelques forêts et réduit les dunes marines au profit de chaîne hôtelières et villas au mépris de l'environnement, après avoir toléré la privatisation d'un grand nombre des plus belles plages de la région en donnant mille et une dérogations à la loi du 24 juillet 1995 sur le domaine public maritime, dîtes-nous à quoi vous allez déroger cette fois-ci avec ce projet criminel ? Pas besoin d'être spécialiste pour anticiper et voir sur quoi peut déboucher ce type de projet pour lequel on nous parle de 20 à 25millions de touristes visés. Pour leur acheminement deux solutions sont envisageables ; voie aérienne puis par route ou voie maritime. Comme le projet ne comporte pas de port à construire, on en déduit que c'est la première option qui est retenue. Pour cela, il faudrait commencer par doubler la route et par conséquent détruire une partie de la montagne et de la forêt. Par la suite, les nuisances d'un tel trafic ne peuvent qu'avoir une répercussion sur la flore et la faune et les humains qui y vivent. En guise de préservation de la forêt on va en détruire un bout et déloger les animaux qui y vivent et les émissions en CO2 vont finir par transformer une ville thermale en une ville où on suffoque. En faisant un petit calcul rapide pour 20 millions de personnes par an, il faut compter pas moins de 333 333 bus, cela fait 27 777 bus par mois qui prendraient la route pour la petite ville de korbous et traverseraient la montagne, ce qui veut dire concrètement plus de 925 bus par jour sans compter au moins autant de camions pour acheminer l'approvisionnement de ces hôtels. En termes d'émission de CO2, la facture n'est pas mal non plus ; 110g/km pour le bus et 618g/km pour un camion, faite le calcul ! Et les promoteurs de ce désastre prétendent que ce projet n'a aucun impact sur l'écosystème et la zone forestière. Au surplus, l'instabilité de la falaise de Kef El Hendi du Jebel Korbous est déjà connue et les éboulements et les chutes de blocs ponctuent la vie des habitants dans la région et un tel trafic n'est donc même pas envisageable car il y va de la stabilité de la falaise.
Autres questions et non des moindres. On nous parle dans le projet de 4km de construction au dessus de la mer qui n'affecterait ni la montagne ni la forêt. Or, 20 millions de personnes qui défilent sur ces ilots soulèvent des questions: Comment acheminer de l'eau et la traiter par la suite, cela passerait par quelle station d'épuration car celle de la région a déjà des problèmes et ne pourra surement pas fonctionner pour une population qui représente deux fois le nombre d'habitants du pays. Où seraient traités les déchets car il n'est pas question de transformer la ville thermale en méga centre de traitement de déchet. Cela veut dire aussi que sur 4 km, une disparition de la flore et la faune maritime. On veut donc investir dans du béton qui va enlaidir le littoral, étouffer une population et provoquer des nuisances à tous les niveaux. Instabilité de la falaise avec risques d'éboulement, nuisances sonores, et pollution de l'air et de l'eau… cela veut dire en somme sacrifier les enfants d'aujourd'hui et de demain au profit de quelques investisseurs. Certains modèles ont prouvé leur défaillance ailleurs, plusieurs pays méditerranéens ont bétonné leur littoral et payent aujourd'hui la facture de ces choix sans lendemain. On ne compte plus les kilomètres d'immeubles vides dans l'attente du client et les centaines de milliers d'emplois précaires. La Tunisie ne peut plus s'offrir le luxe de réfléchir à des solutions économiques à court terme. Elle a l'obligation de s'engager sur du viable et du durable et lorsqu'on parle de développement durable, cela suppose que l'on tienne compte de l'ensemble des impacts, économiques, sociaux et écologiques et ce sur plusieurs générations. Les ressources naturelles du pays sont la propriété du peuple tunisien, la mer, la flore et la faune font partie de ces ressources. Ce projet compromet ces ressources pour les futures générations, a-t-on le droit aujourd'hui de leur transmettre une côte bétonnée sans vie et accentuer les risques quant à l'instabilité de la falaise. On nous parle de dynamiser les zones touristiques intérieures mais est-ce que le Tunisien est condamné à vivre dans un zoo à ciel ouvert pour les touristes et au service du touriste. Il rêve d'un emploi durable et de bien-être. D'autres alternatives existent pour bâtir une société plus juste et plus respectueuse de son environnement. Elles nécessitent de réfléchir un nouveau modèle de développement au service des Tunisiens et non au service du profit et d'associer les citoyens à la prise des décisions qui engagent les territoires où ils vivent. *Membre du Bureau Politique Al Massar et Constituante.