Le secteur du phosphate en Tunisie fait face depuis cinq ans à une instabilité de la production. Une instabilité qui a pour première cause les sit-in de protestation ayant bloqué les opérations de transformation et l'exportation des dérivés du phosphate. Le bassin minier de Gafsa, vivier des mouvements sociaux, réclame sans relâche une partie de la rente du phosphate. Les grèves à répétition ont mis à plat ce secteur stratégique pour l'économie nationale et cette situation de crise traîne, alors qu'aucun des gouvernements qui se sont succédé en Tunisie n'a réussi à en venir à bout… « L'Etat ne restera plus les bras croisés en regardant les sites de production vitaux et stratégiques, à l'instar du phosphate, paralysés », a déclaré mercredi le porte-parole du gouvernement, Khaled Chouket à l'issue de la réunion du Conseil des ministres. Un Chouket qui qualifie cette situation de « terrorisme économique », exercé en cette conjoncture délicate que connaît le pays. « La Tunisie a plus que jamais besoin de travail et d'effort pour promouvoir la productivité », avait-il ajouté.
De par ces paroles, le gouvernement semble vouloir se ressaisir, en promettant de sévir contre cette situation de déliquescence notoire. D'aucuns diront que cette décision survient bien tardivement et que les gouvernements successifs ont été incapables de parvenir à sauver un secteur pourtant stratégique et vital pour une économie tunisienne déjà en berne. Nos autorités sont restées impuissantes devant la recrudescence des mouvements de protestation et la fermeté dans le traitement de ce dossier leur a manqué, indéniablement. Néanmoins, il n'est jamais trop tard pour se ressaisir et sauver ce qui pourrait l'être. Khaled Chouket a affirmé, suite au Conseil des ministres, que le gouvernement, tout en exprimant sa détermination d'en finir, s'engage à respecter les dispositions de la Constitution en termes de protection des droits à la grève et de manifester, outre la garantie des libertés publiques. Et ce, sans que cela n'affecte la production. Il faudra donc trouver le juste milieu entre ces droits garantis par le texte de loi et l'intérêt économique de la Tunisie. Une équation qui représente un enjeu majeur.
La Tunisie a perdu sa place de choix parmi les premiers producteurs mondiaux de phosphate, au profit d'autre pays, notamment le Maroc qui, à cause l'instabilité de la production tunisienne, a gagné des parts de marché et connait une fulgurante ascension dans le secteur. A l'heure où la Tunisie se bat dans les marasmes d'une crise économique aigue, et que l'un de ses fleurons est en pleine difficulté, le cours du phosphate sur le marché mondial enregistre une hausse sensible. Cela aurait été une aubaine…
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Le secteur du phosphate a, en effet, enregistré, depuis 2010, un manque à gagner de près de 5 mille millions de dinars (MD). C'est ce qu'a récemment révélé à la TAP Romdhane Souid, président directeur général de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) et du Groupe chimique tunisien (CGT). On apprend que la production de phosphate a régressé de près de 60%, atteignant en 2015 environ 3,2 millions de tonnes, alors que le niveau de la transformation a baissé également à 2,5 millions de tonnes ainsi que le transport des phosphates qui est passé de 7,3 millions de tonnes au cours de 2010 à 2,3 millions de tonnes en 2015. Actuellement, la CPG œuvre à retrouver le rythme normal de la production pour atteindre 8 millions de tonnes de phosphate commercial et réaliser les équilibres financiers de la compagnie. Cependant, il est plus que nécessaire de dresser un diagnostic de l'état des lieux du secteur afin de fixer les réformes devant aider à surmonter la situation difficile : la responsabilité sociétale et la question des recrutements sont la pierre angulaire pour y arriver.
Au cours de ce mois de mars, Mongi Marzouk participait à un atelier organisé par le Groupe chimique tunisien et la Compagnie de phosphate de Gafsa sur la réalité et les perspectives du secteur des phosphates et des engrais. Principale recommandation qui en ressort : la criminalisation du blocage du travail dans les sites de production, de transformation et du transport du phosphate. Seraient-ce de nouvelles paroles en l'air comme tant d'autres avant? On attendra les actions concrètes…
Il n'est pas question ici, de dénigrer le droit à la grève. Un moyen pour les travailleurs de faire entendre leur voix et réclamer plus de justice sociale. Mais au lieu d'évoluer vers une action civilisée, ce droit s'est mué, durant ces dernières années, en un moyen de chantage plombant directement l'économie nationale. Bien évidemment, les ouvriers du bassin minier ont le droit de demander à ce que leur situation soit améliorée. Il est aussi incontestable que les habitants de Gafsa réclament des projets de développement découlant de cette industrie. Toutefois, ces revendications ne devaient en aucun cas impacter une économie déjà fragilisée.
Tous les indicateurs sont au rouge et avec le fléau du terrorisme qui nous guette, la situation tend à se compliquer. Le secteur du phosphate, comme tant d'autres, est à la traine. Mais dans ce cas précis, les solutions existent bel et bien. Il suffit d'une réelle volonté des toutes les parties concernées, en premier lieu les autorités et les syndicats, pour désamorcer la situation. Pour l'heure, la production de phosphate a atteint près de 14.000 tonnes par jour, ce qui est «acceptable», selon les responsables. Plusieurs sites de production restent, tout de même, bloqués depuis janvier 2016. La Tunisie n'est pas un pays riche en ressources naturelles. Le phosphate constitue une manne pour le pays. Une manne qui s'est transformée, malencontreusement, en malédiction…