Les fichiers fuités des Panama Papers devaient dévoiler les noms de plusieurs personnalités politiques, d'anciens ministres et d'un homme de médias. Pour le moment, il n'y a eu que deux noms, mais un seul fait l'objet de sérieuses « poursuites politiques et médiatiques » : Mohsen Marzouk. Depuis la parution de son nom dans l'article d'Inkyfada dans la foulée du scandale des Panama Papers, il ne se passe pas un jour sans que l'on tire à boulets rouge contre Mohsen Marzouk. A la tête des francs-tireurs, des personnalités politiques diverses et quelques médias qui leur sont inféodés. Cela dénote d'une vie démocratique dynamique qui aspire à la transparence, l'intégrité et la lutte contre la corruption dans toutes ses formes. Le hic est que Mohsen Marzouk a fermement démenti les accusations dont il fait l'objet. A l'entendre, il n'a jamais envoyé de mail au cabinet d'avocats panaméen et il défie ses accusateurs de présenter les preuves qu'ils détiennent.
Or, de preuves concrètes Inkyfada n'en a présenté aucune pour le moment. Les journalistes du site évoquent la question de secrets de données personnelles pour ne pas montrer le fac-similé du mail envoyé par Mohsen Marzouk, alors que ce dernier les a autorisés à le faire afin de prouver à l'opinion publique "qu'il n'a absolument rien à voir avec cette histoire". Il signale, au passage, que le secret des données personnelles n'a pas été pris en considération quand il a été question de montrer les mails personnels de l'avocat Samir Abdelli, deuxième personnalité citée par le site d'investigation.
N'empêche. Les journalistes d'Inkyfada ont fait leur travail et lancé le pavé dans la mare. Nul n'a le droit de les accabler pour cela, surtout que l'affaire est entre les mains de la justice qui déterminera s'il y a eu, ou pas, une erreur professionnelle et s'il y a eu, ou pas, manipulation politique. Bon à rappeler cependant, d'après l'annonce de son rédacteur en chef le 4 avril sur Mosaïque FM, Inkyfada devait publier les noms de plusieurs hommes politiques et anciens ministres, ainsi que celui d'un homme de médias tunisiens. On n'en a eu que deux pour le moment, alors que pour l'ensemble des scandales révélés par le consortium, les révélations devaient être ‘'feuilletonnées'' sur plusieurs jours (à un rythme quotidien pour certains) jusqu'au 17 avril.
En dépit de l'absence de preuves, et en dépit des démentis, la cabale contre Mohsen Marzouk n'a pas baissé d'un cran depuis la publication de son nom dans la nuit du 4 au 5 avril. Elle ressemble un peu à celle qu'on a vue durant les années 2012 et 2013 contre Nidaa Tounes après sa création. Elle est surtout bien entretenue par des personnalités appartenant à l'opposition autoproclamée révolutionnaire et intègre, CPR, Irada, Attayar et Wafa, c'est à dire les mêmes que ceux qui attaquaient BCE et Nidaa à l'époque. On voit carrément des pages sponsorisées à coup de devises sur Facebook portant le nom d'Abderraouf Ayadi pour accabler Mohsen Marzouk dans cette affaire des Panama Papers.
Du côté d'Irada, et outre les apparitions de certains d'entre eux dans les médias audiovisuels Imed Daïmi, Adnène Mansar et Tarek Kahlaoui se relaient dans la publication d'articles à charge contre leur concurrent politique. Ils accusent systématiquement (et toujours sans preuves) l'intéressé d'avoir fraudé dans les dernières élections au profit de l'actuel président de la République. Ce sont pourtant les mêmes qui ont été épinglés par des organismes publics officiels (ISIE et Cour des comptes) pour leurs fraudes électorales durant les dernières élections. Leur poulain Moncef Marzouki occupe même la tête de classement des fraudeurs. Ce sont également les mêmes qui dénoncent, depuis des années et parfois à raison, les médias qui "les accusent de 1001 choses sans preuves". Les mêmes qui alertent l'opinion publique sur "la manipulation politique des médias à travers l'intox et les informations approximatives ou décontextualisées". Ils ont même saisi la justice à propos d'une vidéo diffusée sur la chaîne Al Hiwar en considérant un montage vidéo comme étant de la falsification de données destinées à salir leur président. Il s'avère aujourd'hui que les Daïmi-Mansar-Kahlaoui et autres ont oublié toutes les leçons de déontologie et de morale qu'ils donnaient aux journalistes, puisqu'il s'agit d'accabler un adversaire politique, même à partir d'éléments sans preuves et démentis.
Le silence face à Samir Abdelli Curieusement, tout ce beau monde s'est tu (ou presque) face au deuxième nom révélé par Inkyfada, l'avocat d'affaires Samir Abdelli. Les données révélées par le site d'investigation sont a priori authentiques et ont été accompagnées de preuves. L'intéressé n'a pas confirmé cette authenticité, sans la démentir toutefois, mais a déclaré qu'il n'y a absolument rien d'illégal dans tout ce qui a été révélé par Inkyfada. Quel est le secret dans le tintamarre autour de Marzouk et du silence autour de Abdelli ? D'après un ancien ministre (venu après 2011 et n'appartenant ni à Nidaa, ni à Ennahdha, ni à leurs satellites), il ne s'agit pas uniquement d'accabler Mohsen Marzouk en surfant sur la vague panaméenne. Il s'agit aussi de faire dévier les regards de Samir Abdelli lequel aurait financé, selon notre interlocuteur, plusieurs partis et candidats lors des élections 2014. Le fait qu'aucun parti politique n'ait publié ses états financiers (ni ceux au pouvoir, ni ceux qui s'autoproclament intègres et transparents) ne nous permet pas de vérifier ces éléments donnés par ce ministre très bien informé. Sur ce point, l'opacité est totale et touche tous les partis, sans exception. Pour faire taire ses critiques, Attayar publie régulièrement la liste de certains de ses contributeurs (chose qu'il a arrêté de faire depuis juin 2015), mais on n'a toujours pas accès à ses états financiers détaillés, ni à ses comptes de campagne de 2014. Idem pour Abderraouf Ayadi, Moncef Marzouki et tous les partis qui ne parlent que de transparence et d'intégrité. Attayar a-t-il oui ou non été financé par Samir Abdelli ? A la lumière des documents publics en notre possession, il nous est impossible de le savoir. Un fait est certain, ses membres dirigeants très actifs sur FB, n'ont pas cessé d'accabler Mohsen Marzouk, mais ils n'ont jamais évoqué l'avocat controversé. Un autre fait est à noter, tous les médias qui ont « osé » s'interroger sur la véracité des révélations d'Inkyfada se sont trouvés sur le banc des accusés comme étant corrompus, conspirationnistes ou à la solde de Mohsen Marzouk ou de lobbys mafieux. S'il est évident qu'il est du devoir des journalistes de mener la guerre contre la corruption, il est également de leur devoir de prendre du recul et de refuser de prendre pour de l'argent comptant ce qu'on leur présente comme étant « vérité absolue ».
Au-delà de l'implication ou pas de Mohsen Marzouk et de Samir Abdelli, il est peut-être temps, pour les autorités publiques (à commencer par la commission ad-hoc créée à l'ARP), de s'inspirer de la loi de finances 2015 en appelant à légiférer de telle sorte que l'on puisse exiger l'accès aux comptes bancaires des partis et leurs états financiers. C'est en demandant des comptes à tous les partis politiques et en les interrogeant sur les origines de leurs fonds et les destinées de leurs recettes que l'on pourrait vraiment parler de transparence et de lutte contre la corruption. Mais vu que cela n'arrange aucun de ces partis, on continue à brasser de l'air en accusant X et en disculpant Y.