Les développements de l'affaire de l'hôpital de Sfax ont défrayé la chronique et se sont imposés comme s'ils étaient le centre de l'actualité nationale. Comment un incident local s'est-il hissé au niveau d'une affaire d'opinion publique et politique de premier plan ? Un subterfuge de plus et un écran de fumée supplémentaire qui cache mal notre incapacité à poser les véritables questions et à nous attaquer aux problèmes de fond. L'affaire de l'hôpital de Sfax aurait dû rester une simple affaire locale dont certains de ses aspects acquièrent un caractère syndical. Le jeu de la politique en a voulu autrement. En effet, cette affaire au départ était une affaire de gestion opaque de la santé, une gestion qui impliquait aussi bien les responsables régionaux de la santé que le directeur de l'hôpital sans oublier le personnel hospitalier et bien entendu le syndicat de base.
Le ministère de la Santé devait assainir la situation de cet hôpital, mais la démarche choisie était la moins adéquate à cette situation enchevêtrée et historiquement bien en place. Le choix d'un militaire à la tête de cet établissement était une provocation et une annonce non dissimulée de mise au pas de l'ensemble du personnel. Avec un peu plus de tact, cet objectif aurait été atteint en nommant, pas un militaire de carrière, mais l'un des multiples cadres du ministère de la Santé connus pour leur extrême rigidité et dont la plupart roupillent dans leurs bureaux au ministère.
A cela s'est ajouté la surenchère et les dérapages verbaux ahurissants et inacceptables de quelques syndicalistes, certains par bêtise, d'autres par calculs. Mais force est de constater que ce n'est pas l'arrestation de quelques syndicalistes qui résoudra la question de l'hôpital de Sfax. La crise de l'hôpital de Sfax n'est que la manifestation de la crise de la santé dans notre pays. La crise entre le syndicat et le ministère de la Santé n'est qu'une facette de la crise entre le gouvernement et le syndicat et plus profondément, la manifestation de notre défaillance collective dans le domaine économique et social.
Maintenant, il est temps de poser courageusement la question de la place de la centrale syndicale dans le paysage politique et social national. Il est évident que certains au sein du gouvernement et ailleurs, seraient contents de voir l'UGTT se cantonner dans un rôle de négociateur social sur des augmentations salariales périodiques. Ce rôle à lui seul, n'a jamais été, et ne sera jamais à la pointure de l'UGTT dont l'histoire ancienne et récente, chevauche parfaitement le débat politique. Plusieurs tentatives de neutralisation et de mise à l'écart de la centrale syndicale ont été faites par des gouvernements, souvent plus stables et plus forts politiquement, que le gouvernement actuel, sans succès. Il serait dommage que l'actuel gouvernement s'engage dans le chemin d'une confrontation perdue d'avance avec le syndicat, d'autant plus que l'adhésion de l'UGTT aux décisions gouvernementales importantes pourrait être le gage de la réussite de son action économique, sociale et même politique.
Il serait aussi nécessaire aujourd'hui de poser franchement la question de la cohésion du gouvernement. Il est anormal et hilarant de continuer de voir des ministres se comporter comme des roitelets et non comme des membres d'un même gouvernement. Le ministre de l'Education s'est vu freiner dans les négociations avec les syndicats de l'enseignement, tantôt par le ministère des Finances et la présidence du gouvernement, tantôt par son collègue de la Jeunesse et des Sports. Le ministre du Développement a longtemps fait cavalier seul avant de se calmer et retrouver un tant soit peu un comportement plus collégial. Le ministre de la Santé a déclaré, non sans amertume qu'il se sent seul et lâché par son gouvernement. En face, il est tout aussi abasourdissant de constater le manque de présence et de fermeté du chef de gouvernement. Sinon comment expliquer le comportement « indépendantiste » de certains de ses ministres qui se donnent même le droit de refuser des accords politiques censés endiguer des crises dans leurs départements.
En l'absence d'un véritable capitaine qui maîtrise toutes les commandes du tableau du bord et impose la discipline à ses lieutenants, le navire tangue sans jamais tenir le cap. En l'absence de réponses claires et courageuses à ces questions, la crise de l'hôpital de Sfax, qui n'est pas la première crise locale à prendre des dimensions nationales, risque de ne pas être la dernière.