En Tunisie, une chaîne radio privée est en grève et deux journalistes sont perdus sans aucune trace depuis plus d'un an et demi. Si le monde célèbre aujourd'hui la journée internationale de la liberté de la presse, en Tunisie, la presse a encore du chemin à parcourir devant elle… Cette journée, proclamée par l'ONU en 1993, est fêtée dans le monde entier comme celle où les fondamentaux de la presse sont célébrés, où on évalue le niveau de liberté atteint dans chaque pays, où on défend les médias contre toute attaque visant leur indépendance et où on se souvient des journalistes tués ou kidnappés dans l'exercice de leur métier. C'est ainsi que la présente l'ONU, en tout cas, et c'est ainsi que nous la célèbrerons aujourd'hui.
Cette année, Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU, a déclaré dans un message : « En cette Journée mondiale de la liberté de la presse, j'exhorte tous les gouvernements, politiciens, entreprises et citoyens à promouvoir et à protéger l'indépendance et la liberté des médias. Sans ce droit fondamental, la population est moins libre et moins autonome, mais avec, nous pourrons construire ensemble un monde digne et offrant des possibilités à tous. » Cette année, le chef du gouvernement Habib Essid, s'est exprimé en ces mots : « Je suis heureux de transmettre mes plus vives félicitations à la famille médiatique tunisienne à l'occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, cette journée est l'occasion de célébrer les principes fondamentaux de la presse, de défendre l'indépendance des médias et de rendre hommage à tous les corps de métier et toutes les institutions médiatiques tunisiennes ». Appeler à préserver la liberté de la presse ou la considérer comme un acquis ? Là est la question qui apparait dans ces deux discours. Dans le classement établi par Reporters Sans Frontières, la Tunisie se retrouve en tête du palmarès des pays du monde arabe. En effet si on compare la Tunisie aux autres pays arabes, le pays s'en sort plutôt pas mal…et avec les honneurs ! Mais avons-nous de quoi nous réjouir ? Oui mais à moitié seulement. Est-ce que la liberté de la presse, acquis constitutionnel, est un acquis inconditionnel dont il ne faudrait jamais plus s'inquiéter ? Sans doute que non.
On ne sait presque rien de leur sort aujourd'hui. Un an et 7 mois se sont écoulés depuis leur disparition en Libye et on reste aujourd'hui encore sans nouvelle de Sofiène Chourabi et Nadhir Guetari, journaliste et caméraman de la chaîne First Tv, partis réaliser un reportage sur la frontière libyenne. Autorités et politiques multiplient les communiqués pour exprimer leur soutien aux familles et affirmer qu'ils « œuvrent intensément pour mettre la lumière sur les circonstances de cette disparition ». Mais après ? Le sort réservé aux deux hommes de médias demeure flou et tout porte à croire aujourd'hui qu'on ne les reverra plus jamais… Les journalistes de Shems Fm observent une grève d'une journée aujourd'hui pour protester contre le non-respect de leurs revendications de la part des autorités et de la direction de la radio. Face à un sit-in pacifique, observé par des journalistes qui ont exercé leur droit syndical en portant le brassard rouge, la police débarque dans les locaux de la radio, dans une énième tentative d'intimidation.
Si les journalistes peuvent se targuer d'exercer leur métier dans une certaine liberté, surréaliste pour certains au vu de ce qu'était la presse il y a quelques années, les tentatives d'intimidation, d'humiliation et de muselage n'ont pas disparu pour autant. Les journalistes considérés comme un peu trop libres et donc « dérangeants », font les frais de tentatives d'intimidation en tout genre. Trainés en justice pour des articles de presse, convoqués devant la brigade antiterroriste et poursuivis en dehors des décrets-lois 115 et 116, protégeant leur fonction, les hommes et femmes de médias ne sont pas encore totalement à l'abri des pratiques despotiques que certains disent, et pensent, révolues.
Les journalistes ont encore mauvaise presse aujourd'hui. On les critique dans les plateaux Tv, sur les tribunes des mosquées et dans les communiqués officiels, les accusant de donner une image erronée de la réalité, de courir derrière le scoop et de chercher un sensationnalisme vendeur au détriment d'une information fiable et honnête. Avouons-le, cela est parfois vrai. Mais est-ce pour autant ce qui résume le métier de journaliste ? Vulgaires, menteurs, malhonnêtes, vendus et orientés, tels sont les qualificatifs avec lesquels on taxe les journalistes dont les voix se font un peu trop entendre aujourd'hui. Faut-il les faire taire ou, bien au contraire, leur donner les moyens d'aller au fond des choses, d'être, ou de devenir, ces lanceurs d'alerte qu'ils sont ou qu'ils sont destinés à devenir ?