Alléluia ! Depuis le 3 août, nous avons enfin un chef de gouvernement ! Il nous faudra maintenant un gouvernement. Ce sera probablement samedi prochain, puisqu'on adore en Tunisie les symboliques des dates. La période étant en la résurrection sous toutes ses formes de l'ère Bourguiba, nous n'allons donc pas hésiter à en mettre à toutes les sauces. Le 3 août, date de la nomination de Youssef Chahed, coïncide avec l'anniversaire du leader suprême, il va falloir attendre la prochaine date-symbole et elle serait a priori le samedi 13 août, anniversaire de la proclamation du Code du statut personnel. Nous avons le temps, rien ne presse dans ce pays qui vit au rythme de la séance unique et des jeux olympiques... Une publication fait actuellement le tour des pages FB des quelques rares personnes sensées qui ne s'intéressent ni aux JO, ni au farniente de l'été, rappelle quatre récentes dates de « l'Histoire » britannique. Le 23 juin 2016, le référendum donne le Brexit vainqueur, le Royaume-Uni quitte l'Europe. Le 24 juin, David Cameron annonce sa démission. Le 13 juillet, il la présente à la reine. Le même jour, Theresa May devient le 13ème Premier ministre du Royaume-Uni. Les 13 et 14 juillet, elle annonce son gouvernement et jette un pavé dans la mare (européenne et mondiale) avec la nomination d'un sulfureux et controversé ministre des Affaires étrangères. Partant du principe qu'elle sait ce qu'elle a à faire, Teheresa May n'a consulté personne pour désigner Boris Johnson. Trois semaines à peine ont suffi pour que le Royaume-Uni tourne la page d'un véritable séisme politique et tournant dans son Histoire.
Retour en Tunisie. Habib Essid a officiellement quitté la présidence du gouvernement le 30 juillet (bien avant politiquement), son successeur a été nommé le 3 août et, depuis, on vit au rythme des rumeurs, de l'intox et des pressions des lobbys. Et ce sont ces derniers qui nomment et qui gomment. On en a un tas en Tunisie, de lobbys. Ceux des syndicats, des islamistes anti-Ghannouchi et des islamistes pro-Ghannouchi, des affairistes et des hommes d'affaires, des corporations et des camps des corporations, des partis et des clans de partis et la liste est longue. Au gré des rumeurs, des intox qu'on nous distille sciemment nous autres médias, et des informations puisées auprès de sources dignes de foi (ou qu'on croit comme telles, jusqu'à ce qu'elles nous intoxiquent à leur tour), on commence à avoir une idée approximative de la composition du prochain gouvernement. Pour le moment, et à une exception près, tous les noms fuités, aussi bien pour les entrants que les sortants, sont ceux de « personnalités » validées par les différents lobbys. En tout état de cause, nous sommes bien loin des promesses électorales de 2014 quand on disait que la priorité des priorités était de rétablir le prestige de l'Etat.
Parmi les noms des sortants figure Said Aïdi, ministre de la Santé pour quelques jours encore. Je ne choisis pas ce nom par hasard, car il reflète à lui seul combien nous sommes encore loin des modèles des pays démocratiques. Mais il n'est pas l'unique ministre, désigné sortant par la rumeur publique, alors qu'il devrait continuer ce qu'il a bien commencé. Quel est le profil type d'un ministre pour un analyste, qu'il soit de droite ou de gauche, révolutionnaire ou non, islamiste ou laïc ? Qu'il soit adoubé par une majorité tout d'abord et on se base sur les sondages ou sur les élections pour le déterminer. Said Aïdi est le candidat qui a obtenu le plus de voix dans les dernières législatives. Deuxième caractéristique, qu'il soit compétent. Sur papier du moins. Il est le transfuge d'une grande multinationale où il touchait un salaire mensuel à cinq chiffres en euros. Qu'il exécute ce pour quoi on l'a désigné. Les priorités étaient en 2014 (et encore aujourd'hui), le rétablissement du prestige de l'Etat et la lutte contre la corruption. Said Aïdi a affronté courageusement (et souvent seul) le très puissant syndicat de la Santé de Sfax et a fait face à de véritables mafias du monde médical et pharmaceutique. Rien que pour avoir affronté ces lobbys et commencé à rétablir le prestige de l'Etat, il mérite d'être protégé des attaques de ces lobbys et de l'encourager à poursuivre son chantier. Il se trouve qu'il est attaqué par des membres de son propre parti qui ne voient naturellement pas d'un bon œil le premier d'entre eux. Chez nous, l'exercice est des plus classiques, sinon un sport national : le premier, on essaie toujours de le casser, jamais de l'imiter. Said Aïdi n'est qu'un ministre parmi plusieurs autres membres du gouvernement Habib Essid qui vont être sacrifiés par le nouveau chef du gouvernement pour satisfaire tout à la fois BCE, Nidaa, Ennahdha, l'UGTT, l'UTICA, etc. Je peux citer Omar Mansour, Hédi Mejdoub, Farhat Horchani et autres ministres apolitiques, mais qui ont entamé de gros chantiers dans la ligne de la lutte anticorruption et du rétablissement du prestige de l'Etat.
Quadragénaire, tombé sur le tard dans la politique, Youssef Chahed croit devoir satisfaire tous ces lobbys pour pouvoir, croit-il encore, travailler tranquillement plus tard. Il tombe exactement dans la même erreur que ses prédécesseurs Habib Essid, Ali Laârayedh et Hamadi Jebali. Les seuls à avoir échappé à cette dictature des nominations imposées par les lobbys sont Béji Caïd Essebsi en 2011 et Mehdi Jomâa en 2014. Ils avaient, tous les deux, un objectif à atteindre, et ont composé leur gouvernement en fonction de cela. En cédant aux pressions des lobbys, en ouvrant sa porte aux discussions avec les organisations et les partis, Youssef Chahed entame ses fonctions par de grosses erreurs. En consultant tout le monde, il finit par consulter n'importe qui et en cherchant à satisfaire tout le monde, il ne réussira à satisfaire personne. Pour un tel exercice relatif aux nominations, un chef, ça décide seul, ça ne consulte pas ! Un vrai chef ne se laisse pas polluer l'esprit par des « moins compétents que lui » et encore moins se laisser salir par ceux qui ont des objectifs autres que les siens. Youssef Chahed a été mandaté par le président de la République pour une mission claire synthétisée par l'accord de Carthage. Ce n'est pas aux lobbys de lui dire comment exécuter ce programme, mais à lui et à lui seul. C'était la politique de Habib Bourguiba et c'est également la politique de Béji Caïd Essebsi. Chaque fois qu'ils ont dévié de cette règle, ils ont failli.