Aujourd'hui, Kasserine (le gouvernorat) fait la une des journaux, mais comme d'habitude, pas pour les meilleures raisons. Mort, terrorisme, précarité… Il faut dire que, quand tu habites à Kasserine, tu es en confrontation directe avec le terrorisme. Pour de rares occasions, le terrain des opérations se déplace en ville et tu peux te réveiller le matin sur le bruit d'échanges de tirs comme ce fût le cas aujourd'hui. Tu peux aussi avoir l'occasion de voir de tes yeux les actes terroristes, comme par exemple lors de l'attaque de la maison du ministre de l'Intérieur de l'époque, Ben Jeddou. Mais de manière quotidienne, le terrorisme influencera ta vie. Si tu as la malchance de vivre grâce à la montagne en y faisant paitre tes animaux ou pour y chercher du bois, tu pourras faire une croix sur ta source de revenus puisque la montagne est une zone militaire fermée. Tu auras également l'occasion de te délecter des tirs d'artillerie de l'armée qui peuvent être enclenchés à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Et cerise sur le gâteau, les personnes qui vivent ailleurs en Tunisie te considèrent comme un terroriste…
Quand tu habites à Kasserine, tu peux voir débouler sur toi un camion qui n'a plus de freins. Pour ceux qui connaissent Khemouda et la géographie de la zone, on ne peut qu'imaginer le pire en pensant à un camion sans freins. Certes, il s'agit d'un accident, mais le sort semble s'acharner sur cette partie du territoire tunisien. Quand tu habites à Kasserine, tu auras l'impression d'appartenir au territoire mais pas à la République, et tu feras tienne la désormais célèbre maxime : « La patrie on ne la connait que sur la carte d'identité ».
Quand tu habites à Kasserine, il vaudrait mieux pour toi être résistant à la soif. Les coupures d'eau sont certes générales à tout le pays et la pénurie menace. Mais il est clair que couper l'eau à Kasserine fera sûrement moins de bruit que de le couper à La Marsa.
Quand tu habites à Kasserine il vaudrait mieux pour toi ne pas garder cette adresse sur ta carte d'identité. Les contrôles de police peuvent devenir assez « mouvementés » si le policier n'est pas très ouvert d'esprit. Il pourra même te demander « qu'est ce que tu fais ici ? » si jamais tu te fais contrôler à Sousse ou à Tunis ou à Sfax. Il te faudra baisser la tête, accepter et t'en remettre à l'humeur de l'agent pour savoir si tu rentres chez toi ou pas.
Quand tu habites à Kasserine, il vaut mieux ne pas y être très attaché. Parce que si tu es attaché à ta région au point que tu ne veuilles pas vivre ailleurs, il faudra t'armer de beaucoup de courage et de patience pour trouver du travail, si jamais tu en trouves. Mais puisqu'il te faudra faire quelque chose pour vivre, tu tomberas, tôt ou tard, dans la contrebande. Tu pourras faire le passeur avec l'Algérie voisine, tu pourras au bout de quelque temps conduire ton propre camion pour ramener des biens de là bas pour les revendre en Tunisie. Tu pourras éventuellement te faire tirer dessus par les forces de l'ordre, mais bon, il faut bien vivre non ?
Quand tu habites à Kasserine, tu ne te soucies pas de politique. Tu n'en as que faire des ors de la République, des grands discours et des déclarations d'intention. Tu sais qu'on parle, entre autres, de ta région quand on évoque les régions « défavorisées », mais en même temps tu sais qu'on parle de ta région depuis longtemps, mais que jamais rien n'a été fait. Donc, tu perds confiance et tu sens qu'ils vivent dans un autre pays que le tien, que vous n'appartenez pas au même monde et que, finalement, ils n'en ont pas grand-chose à faire de toi…et ce ne sera pas totalement faux.