Alors que les démocraties occidentales vont vers la cristallisation des opinions et les regroupements d'orientations politiques, la scène tunisienne prépare un morcellement inédit. Le parti Nidaa Tounes s'est d'ores et déjà divisé suite à une guerre fratricide, ce qui laisse un espace que beaucoup convoitent. Plusieurs personnalités envisagent de présenter des projets politiques aux Tunisiens, avec plus ou moins de crédibilité. Tour d'horizon.
Appâtés par l'approche des élections municipales et surtout par l'approche de l'année électorale 2019, plusieurs hommes politiques en Tunisie tentent de rassembler leurs sympathisants et leurs ressources pour se poser en tant qu'alternative au pouvoir. Une alternance qui paraît évidente tant la situation du parti qui avait gagné les élections en 2014 est dramatique. De l'avis de plusieurs observateurs, Nidaa Tounes est dans un tel état de délabrement que l'on voit mal comment il pourrait garder le pouvoir ni comment il pourrait concourir aux prochaines échéances électorales. Certains vont même jusqu'à dire que les dissensions sont tellement profondes qu'il ne serait pas impossible que Ridha Belhaj, l'un des principaux instigateurs du « comité de sauvetage », se tourne vers la création d'un nouveau parti. Il faut dire que la rixe entre lui et le directeur exécutif du parti, Hafedh Caïd Essebsi, a donné lieu à des déclarations médiatiques douteuses et des demandes du type : « Il faut qu'il rende le cachet du parti ». Ridha Belhaj a aussi déposé plainte contre Hafedh Caïd Essebsi pour usurpation d'identité. C'est dire l'ambiance…
En conséquence, les appétits s'aiguisent petit à petit pour occuper la place que laisse Nidaa Tounes au sein de l'échiquier politique tunisien. La place de parti centriste qui se propose aux Tunisiens en tant qu'adversaire politique crédible du parti islamiste Ennahdha. L'affaire est simple mais très difficile. Toutefois, ce niveau de difficulté ne semble pas impressionner la pléiade de politiciens qui créent des partis ou sont à la tête de mouvements politiques qui ambitionnent de se faire une place au soleil.
Le premier à s'être lancé dans cette course est Mohsen Marzouk. L'ancien numéro 2 de Nidaa Tounes et architecte de la campagne présidentielle de Béji Caïd Essebsi a décidé de rompre les rangs et de constituer son propre parti, Machrouû Tounes. Ce parti est « aidé » par une présence non négligeable au sein de l'ARP à travers le bloc Al Horra. Il aura également eu le mérite d'avoir tenu un congrès constitutif les 23, 24 et 25 juillet 2016 pendant lequel les instances dirigeantes du parti ont été démocratiquement élues. Mohsen Marzouk et son parti se placent en tant qu'adversaire déclaré et assumé d'Ennahdha dans l'objectif de rassembler les déçus de Nidaa Tounes pour qui la pilule de l'alliance avec le parti islamiste après les élections, n'est toujours pas passée.
Toutefois, la scène politique tunisienne est tellement mouvante que Mohsen Marzouk et son parti pourraient presque passer pour des « anciens ». C'est le 9 février 2017 qu'un autre ancien de Nidaa Tounes a annoncé la création de son parti dénommé « Mouvement avenir de la Tunisie », il s'agit de Tahar Ben Hassine. Sa particularité aura été le fait de déclarer d'emblée qu'il ne serait candidat, en son nom, à aucune échéance électorale. Plusieurs questions se posent autour de cette initiative concernant son implantation régionale, ses relais et son financement.
D'autres « vétérans » comptent se lancer également dans la course. Le plus illustre d'entre eux est certainement Ahmed Néjib Chebbi. Le fondateur de l'ancien PDP est un politicien né. Il a le virus de l'action politique et du travail partisan et est même arrivé à l'inoculer à d'autres, dont Youssef Chahed, actuel chef du gouvernement. Il avait quitté Al Jomhouri, successeur du PDP, et il a décidé récemment de lancer son propre parti politique en s'appuyant sur sa longue expérience des arcanes de la politique tunisienne. Il a annoncé qu'il allait créer le « Parti démocratique ». On peut donc présager qu'il va aussi se lancer dans la course des élections, encore une fois. Un dernier baroud d'honneur ou une possibilité crédible d'alternance ? Seul l'avenir le dira, mais le passé ne pardonne pas et l'Histoire se rappellera des échecs retentissants de Ahmed Néjib Chebbi aux élections de 2011 et de 2014.
Un autre acteur va également se lancer en la personne de l'ancien chef du gouvernement, Mehdi Jomâa. Durant son dernier meeting à Mahdia le 19 février 2017, M. Jomâa est passé à la vitesse supérieure et son offre politique commence à prendre forme. Il s'agira d'intégrité, de travail, de compétence et de souveraineté. Peu après avoir quitté la Kasbah, Mehdi Jomâa avait commencé à mûrir son projet politique et à le mettre en forme, notamment à travers le think tank « Tunisie Alternatives ». Il a fait le choix de travailler d'abord sur des programmes et des solutions à la situation du pays, avant de se déclarer publiquement en tant que possibilité politique. Il semble être l'adversaire politique le plus crédible, si l'on mesure cela par l'ampleur et la fréquence des attaques qu'il subit. Toutefois, il garde un capital sympathie conséquent du fait de son passage à la primature à l'issue du Dialogue national. Un mandat d'un an qui c'était fini avec des élections libres et transparentes.
Il existe également des personnalités qui préparent des projets politiques sans que rien ne soit concrétisé ou annoncé à ce jour. Ainsi, il se murmure que l'ancien ministre de la Santé, Saïd Aïdi, serait en train de mûrir l'idée de constituer un parti politique. N'ayant plus de place à Nidaa Tounes, l'ancien ministre pourrait prendre le taureau par les cornes et constituer son propre mouvement. Un autre ministre de la Santé est également en train de préparer une proposition politique : Mondher Zenaïdi. Cet hyperactif de la politique et fin connaisseur des arcanes du pouvoir avait été courtisé par plusieurs partis politiques de la place, en vain. Il a refusé d'intégrer un parti existant et s'était présenté seul à l'élection présidentielle de 2014. Le résultat n'avait pas été brillant mais la compétence, l'entregent et le carnet d'adresses de Mondher Zenaïdi font qu'il reste toujours convoité et craint en même temps.
A tout cela s'ajoutent ceux qui sont venus après la révolution et qui s'étaient déjà lancés dans toutes les joutes électorales : Hamma Hammami, Slim Riahi, Hechmi Hamdi, Moncef Marzouki, Kamel Morjane etc.
Dans cette pléthore de candidats potentiels et de projets politiques, bien malin celui qui saurait anticiper le comportement de l'électeur tunisien. Les résultats de Sigma Conseil, présentés par Hassen Zargouni le 21 janvier 2017, sont sans équivoque : 1.550.431 personnes n'iront pas voter à la présidentielle et 3.185.707 personnes ne savent pas pour qui voter. Donc, un peu plus de la moitié du corps électoral tunisien reste indécis. C'est pour ces voix que tous ces candidats vont se battre, et la bataille s'annonce, d'ores et déjà, sanglante.