La visite d'une délégation parlementaire tunisienne à Damas dont les membres ont été reçus par les officiels syriens et, à leur tête, le président Bachar El Assad, ne laisse pas indifférent, de par sa composition, le timing et les objectifs déclarés et inavoués. Les autorités officielles, plus précisément le ministre des Affaires étrangères, Khemaïs Jhinaoui, qui, sans désavouer le voyage, a tenu à s'en laver les mains en précisant que le gouvernement tunisien n'a été ni consulté ni informé de cette mission. L'opinion publique, reflétée, notamment à travers les réseaux sociaux, se déclare, dans sa majorité écrasante en faveur des députés partis en Syrie. Seul le parti Al Irada de Moncef Marzouki s'est prononcé, par le biais de l'ex-CPRiste Imed Daïmi, avec véhémence contre cette mission Selon les analystes, la délégation parlementaire prêche dans deux directions, en l'occurrence les chances d'une reprise des relations diplomatiques rompues par Moncef Marzouki depuis le mois de février 2012, soit à peine trois mois après l'avènement de la Troïka au pouvoir. D'un autre côté, il s'agira de recueillir des éléments pouvant être utiles pour la commission d'enquête parlementaire, présidée par Leïla Chettaoui, sur l'envoi des jeunes Tunisiens dans les zones de conflits.
Si sur le premier point, les membres de la délégation ne peuvent pratiquement rien dans le sens où il s'agit d'une décision souveraine qui reste du ressort du président de la République, ils semblent avoir pu glaner certains éléments pouvant être utiles pour la commission d'enquête officielle. En effet, tous les officiels syriens rencontrés ont exprimé leur disposition, voire leur détermination à fournir à notre pays toutes les informations sur ce dossier épineux et explosif. D'ailleurs, ils déclarent publiquement qu'ils disposent d'informations, de preuves et de documents, voire des enregistrements sur les parties impliquées ayant commandité, financé et facilité ces voyages.
En tous les cas, les sept députés qui ont été du voyage à Damas observent, jusqu'à présent, une discrétion de rigueur, mais les observateurs s'attendent à ce que les langues se délient, une fois de retour au pays. Il faut dire que cette mission pourrait s'avérer autrement plus efficace que celle officielle dans la mesure où elle est plus restreinte de par le nombre et plus motivée de par l'appartenance de ses membres qui sont tous pour la reprise des relations diplomatiques et pour faire toute la lumière sur les réseaux ayant organisé et financé les voyages des jihadistes en Syrie. En effet, Sahbi Ben Fraj, qui se présente comme étant le porte-parole de cette délégation, a tenu à souligner, dans un post sur sa page Facebook, les grandes lignes sur lesquelles a porté la rencontre avec Bachar El Assad. Il a indiqué, ainsi, que le président syrien tient à entretenir ses relations officielles avec la Tunisie tout en donnant la priorité aux relations entre les deux peuples en vue de les développer, les renforcer et les organiser davantage. Il a ajouté que le président syrien a affirmé que les autorités de son pays s'engagent à mettre toutes leurs ressources sécuritaires et judiciaires à la disposition des instances d'enquête tunisiennes qu'elles soient parlementaires ou officielles.
Le ton a été, donc, donné plaçant la barre assez haut et ne laissant aucune excuse à la commission d'enquête parlementaire « officielle » pour mener à bien ses investigations et d'être tenue, par voie de conséquence, à une obligation de résultats. Ouvrons une parenthèse ici pour rappeler la composition de cette délégation qui est formée de Sahbi Ben Fraj (Al-Horra), Mongi Rahoui, Mbarka Brahmi (Front populaire), Abdelaziz Kotti, Khemaïs Ksila (Nidaa Tounes), Noureddine Mrabti (UPL) et Issam Matoussi (indépendant). A la lecture des noms des députés formant cette délégation, un constat s'impose : absence de tout député appartenant à Ennahdha, au Nidaa du clan de Hafedh Caïd Essebsi, à Afek Tounes, au Tayyar et à Irada !
Par contre, on notera que la commission parlementaire chargée d'enquête sur l'envoi des Tunisiens aux zones de conflits, récemment élue à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) est composée de 22 membres, dont 7 députés issus du parti islamiste Ennahdha, qui est accusé d'avoir encouragé, lorsqu'il était au pouvoir, en 2012 et 2013, l'envoi de jeunes pour combattre le régime El Assad. Alors, la question qui se pose est la suivante : le mouvement Ennahdha va-t-il accepter la coopération avec le régime de Damas, plus précisément sur ce dossier, surtout si l'on sait que certains officiels syriens n'hésitent pas à désigner du doigt la Troïka et Moncef Marzouki en les accusant d'être derrière la poussée de jeunes Tunisiens vers les groupes jihadistes ?
A ce propos, il est bon de rappeler que des dirigeants nahdhaouis avaient apporté leur soutien public au jihad en Syrie. On se limitera à en citer les plus fervents « supporters », à savoir, l'ex-ministre des Affaires religieuses, Noureddine Khademi, qui a curieusement et complètement disparu de la circulation, et l'ancien député à l'ANC, Habib Ellouz. Et il y a aussi, les deux imams Béchir Ben Hassen et Ridha Jaouadi qui ont appelé au jihad en Syrie à la télé et dans des vidéos sur Facebook.
Le vice-ministre syrien des Affaires étrangères, Fayçal Mokded a, d'ailleurs, déclaré, lors de la dernière visite d'un groupe de journalistes tunisiens en Syrie, que la Troïka et Marzouki « sont tenus pour responsables de l'envoi des jeunes tunisiens pour rejoindre les groupes terroristes ».
Pour revenir à l'autre point portant sur les relations diplomatiques entre la Tunisie et la Syrie, le même vice-ministre syrien des Affaires étrangères assure qu'elles sont en train de se rétablir progressivement. La Tunisie ayant nommé, en juillet 2015, un consul à Damas. « La Syrie cherche actuellement à normaliser ses relations diplomatiques avec la Tunisie » a assuré Fayçal Mokded déplorant tout de même que « la Tunisie se contente actuellement d'une simple représentation consulaire en Syrie ». « Cette situation est inacceptable pour la Syrie et notre principal objectif aujourd'hui est de normaliser ces relations », a-t-il dit sans cacher le mécontentement de son pays.
C'est dire l'importance de cette visite des parlementaires tunisiens à Damas qui aura déblayé du terrain sur la voie d'une probable reprise des relations diplomatiques avec la Syrie et sur le chemin de la vérité quant aux réseaux d'envoi de nos jeunes dans les foyers de tension, plus particulièrement en Syrie.