Enfin, après deux ans de réflexion, d'observation, d'hésitation et de tergiversation aussi, Mehdi Jomâa a décidé de franchir le Rubicon et créer son propre parti politique : Al Badil Ettounsi, l'Alternative tunisienne. Mercredi dernier, 29 mars 2017, il présentait, en conférence de presse, les crédos du nouveau parti, sa profession de foi. Ainsi, Mehdi Jomâa a fait sienne la célèbre formule de César, lançant ses troupes à la conquête de Rome : alea jacta est. Maintenant, il s'agit de savoir quel écho aura cette initiative auprès de l'opinion publique. Celle-ci manifestera-t-elle une forte adhésion ? C'est possible compte tenu du crédit de Mehdi Jomâa ou plutôt de la trace qu'il a laissé après son passage en tant que chef de gouvernement. Il convient, en effet, de savoir gré au seul gouvernement, parmi la myriade de gouvernements qui se sont succédé depuis 2011, à avoir affiché au moins un succès et de taille : celui d'avoir réussi à faire franchir au pays une étape cruciale de sa transition politique en menant à bien les élections législatives et présidentielles de 2014. C'est aussi le seul gouvernement à n'avoir pas été acculé à la démission comme y furent contraints les gouvernements Jebali, Laârayedh et Essid. Ce n'est déjà pas si mal. C'est d'ailleurs pour cela que Mehdi Jomâa jouit d'une appréciable cote de popularité dans les sondages d'opinion. Cependant, est-ce pour autant suffisant ?
Lors de sa désignation, en janvier 2014, par Moncef Marzouki, président provisoire de la République, pour former un gouvernement chargé de mettre en œuvre la feuille de route du Dialogue national initié par le Quartet, UGTT, UTICA, LTDH et l'Ordre des avocats, Mehdi Jomâa avait solennellement affirmé qu'il n'était pas « un faiseur de miracle », mais qu'il mettrait toutes ses compétences en œuvre « pour servir l'intérêt général et rétablir ce qui peut être rétabli ». Or, pour l'heure, c'est bien d'un prodige dont a besoin le pays. Et de ce point de vue, l'ancien chef de gouvernement ne semble pas donner des gages suffisants. Au cours de la conférence de presse, rien n'a été fourni sur le programme de ce nouveau parti. Mehdi Jomâa s'est limité à le définir, « centriste, réaliste, patriotique et démocratique », privilégiant l'acte au discours, le geste à la parole, l'initiative au verbe ou au verbiage. On attendait plus de la part de quelqu'un déjà rompu à l'exercice du pouvoir, maîtrisant ses arcades et ses subtilités. Qu'il dise plus ce qu'il n'a pu ou voulu entreprendre lorsqu'il exerçait le pouvoir. Car, hormis l'organisation des élections, le gouvernement de Mehdi Jomâa, aussi bourré de compétences qu'il soit, s'est astreint à une gestion au plus pressé des affaires courantes, sans poser de réels et solides jalons au redressement socioéconomique du pays. Il convient de rappeler, à ce propos, que c'est le gouvernement Jomâa qui a fait le choix d'acheter la stabilité sociale au lieu de l'imposer ; choix qui a eu pour conséquence l'envolée de l'endettement du pays. C'est sous son gouvernement que les ressources d'emprunt du budget de l'Etat ont enregistré la plus forte augmentation (+ 17%), faisant grimper le taux d'endettement du pays de 5 points de pourcentage pour dépasser la barre symbolique de 50% du PIB et alerter sur la viabilité de la dette, sans que cela ait permis de mettre en place les réformes structurelles nécessaires pour stimuler la croissance. Pour sa défense, Mehdi Jomâa peut toujours plaider la lenteur et les freins de l'Assemblée nationale constituante (ANC) dans l'adoption des projets de réforme que son gouvernement a élaborés à l'époque. Sauf qu'il avait une « alternative » : l'usage de décrets-lois pour les faire passer dès lors que la mission fondamentale de l'ANC avait pris fin avec l'adoption de la nouvelle Constitution.
Cette frilosité de l'époque a-t-elle aujourd'hui disparu ? La création du parti Al Badil Ettounsi en constitue un signe. Il faudra, tout de même, plus. A savoir un programme et un calendrier précis. Maintenant et non dans la perspective de 2019. Car d'ici là, bien des choses auront changé.