Actualité bien chaude cette semaine où l'odeur de la manipulation politique se ressent dans chacun des événements qui en ont fait la une. « Tous coupables, tous pourris, tous incapables », pourrait se dire le citoyen lambda préoccupé, qu'il est, par les examens de fin d'année et les préparatifs des budgétivores mois de ramadan et des vacances d'été. A Tataouine, à l'extrême sud du pays des centaines de personnes « en colère » se sont déplacées au fin fond du Sahara au lieu-dit « El Kamour » pour bloquer toute circulation de camion pétrolier. L'idée est que les sociétés pétrolières étrangères seraient en train de piller nos richesses naturelles. Une des principales revendications est de donner à la région 20% de ses recettes pétrolières. A elle de gérer ensuite son propre développement et sa propre infrastructure.
La revendication en a fait rire plusieurs et chacun est allé dans son registre pour ridiculiser les manifestants. Telle région veut avoir ses parts dans les recettes de l'eau, l'autre dans les recettes de l'alcool, l'autre dans les recettes du tourisme… On faisait remarquer dans la foulée que les manifestants de Tataouine et d'El Kamour semblaient matériellement aisés au vu des moyens logistiques mis à leur disposition. Et, pour enfoncer le clou, on s'interroge s'ils sont en train de s'acquitter de leurs devoirs fiscaux, sachant pertinemment à l'avance que la réponse penche vers le négatif. A entendre certains, parce que ces gens sont aisés (ou supposés l'être), et parce qu'ils seraient en train de vivre de contrebande, ils ne devraient donc plus rien revendiquer. Tentant de désamorcer le conflit et de calmer les ardeurs, Youssef Chahed est allé jeudi sur place, à la tête d'une imposante délégation ministérielle et médiatique. Il n'a cependant pas réussi à désamorcer grand-chose. A un moment, on était plutôt proches du dialogue des sourds.
On a beau penser que les revendications des Tataouiniens sont farfelues, bloquantes et mues de mauvaise foi et de calculs politiques (et tout cela peut ne pas être faux), elles ont le mérite d'être claires avec, pour source, la Constitution de la IIème République. Ce que les critiques ont tendance à oublier. Dès son préambule, la Constitution a parlé du devoir d'équité entre régions. Dans son article 12, on parle d'équilibre entre régions. L'article 136 stipule qu'une « part des revenus provenant de l'exploitation des ressources naturelles peut être consacrée, à l'échelle nationale, en vue de la promotion du développement régional ». Les articles 137 à 142 parlent tous des collectivités locales et de leur gestion libre des ressources. Ce n'est ni l'opposition, ni les manifestants de Tataouine qui parlent de ça, c'est la Constitution ! Maintenant, on peut gloser autant qu'on veut sur les revendications des Tataouiniens, sur l'implication de l'opposition, de Marzouki, des Abbou et des islamistes, le fait est que leurs revendications sont légitimes et basées sur la Constitution. La Constitution est mauvaise ? Ça on le sait, ce n'est pas nouveau, mais ce n'est pas parce que la Constitution est mauvaise qu'on doit l'ignorer ! Reste la forme et c'est là où les Tataouiniens ont fauté. La région d'El Kamour est une zone militaire interdite d'accès et nous sommes en Etat d'urgence. Que les manifestants et « sitinneurs » aillent là-bas est un acte de défi à l'Etat et un mépris des lois. Les lois sont mauvaises ? Peut-être, mais ce n'est pas parce que les lois sont mauvaises qu'on doit les ignorer. L'autre faute des Tataouiniens est dans l'accueil odieux qu'ils ont réservé au chef du gouvernement et la délégation qui l'accompagne. Tout comme leur comportement odieux à l'encontre de certains médias jugés trop indépendants ou proches de la gauche. Il peut y avoir des causes nobles et justes qui échouent, juste à cause de problèmes de forme.
Samedi 29 avril, le collectif « manich msameh » (je ne pardonnerai pas) a organisé une manifestation qui se voulait être grosse et imposante. Ce collectif est une créature de l'organisation I Watch, dont les mensonges et les manipulations grotesques se suivent et se ressemblent. Le fait est que ce collectif et cette organisation trouvent du répondant chez une partie de la population qui continue à prendre pour de l'argent comptant tout ce que peut raconter cette organisation, dont certains membres touchent des milliers de dinars par mois pour leur « militantisme » et leur « activisme ». Au menu de ce samedi, le projet de Loi de réconciliation nationale dans sa troisième version, présentée cette semaine par la présidence de la République à l'Assemblée.
Parmi les mensonges proférés, on note que la Loi en question va passer l'éponge sur les méfaits de la famille de l'ancien président Ben Ali, va pardonner à ceux qui ont volé de l'argent public et se sont enrichis indûment, va blanchir les corrompus et les corrupteurs… Le collectif et les manifestants du samedi refusent donc tous ces élargissements et ils le crient haut et fort. Le hic est que la loi en question ne prévoit rien de tout cela, il suffit de la lire ! Paradoxalement, c'est la Loi de la Justice transitionnelle qui prévoit ces élargissements à travers l'Instance Vérité et Dignité que préside Sihem Ben Sedrine. Sur le fond, pourquoi ces manifestants refusent un principe de pardon aux uns et l'accordent aux autres ? Sur la forme, il y a tout simplement une méprise puisque, je le redis, la loi en question ne prévoit pas de pardonner aux corrompus leurs méfaits d'enrichissement personnel ! N'empêche, la manipulation des masses qu'entreprend I Watch est du beau travail, ses dirigeants ont bien été coachés…
La manifestation du samedi a pris pour point de départ la Place Mohamed Ali. Une place symbolique, très symbolique car elle « appartient » à l'UGTT. Le collectif « Manich msameh » voulait impliquer la centrale syndicale dans son action, mais il se trouve qu'on n'apprend pas à un vieux singe à faire la grimace. Ce ne sont donc pas des activistes gominés payés en dollars qui vont apprendre la manipulation politique aux valeureux syndicalistes de l'UGTT. Les agendas des manifestations, c'est l'UGTT qui les fixe à Tunis et non Transparency qui les fixe à Washington. Du souverainisme ? Oui et je ne remercierai jamais assez l'UGTT pour cette indépendance par rapport aux organisations étrangères et ce nationalisme-patriotisme. Ceci pour la forme, car pour le fond c'est une autre paire de manches. Entre l'UGTT et le pouvoir, il y a un autre calcul et un autre bras de fer. La centrale syndicale a juré la peau de Néji Jalloul, ministre de l'Education, et elle l'a fait savoir. Un dead-line a été publiquement fixé et c'était le 15 avril. Noureddine Taboubi, SG de l'UGTT, a besoin de gagner cette manche pour asseoir sa légitimité. C'était vital pour lui. Il pouvait manipuler la carte « I Watch » et ses manifestants (manipulables à souhait) pour fragiliser encore davantage le pouvoir et BCE, mais il ne l'a pas fait. Et s'il ne l'a pas fait, c'est parce qu'il avait reçu la promesse ferme que Jalloul allait être limogé avant la fin du mois d'avril. La date n'est pas fortuite, car le 1er mai coïncide avec la Fête du Travail et Taboubi se devait de présenter à ses syndicats une victoire. A-t-il proposé en contrepartie des garanties de quelques trêves pour satisfaire les engagements gouvernementaux vis-à-vis du FMI ? Probablement. Le fait est que Youssef Chahed (ou BCE plutôt) ait cédé la veille du 1er mai. C'est du jamais vu ! On limoge un ministre, un dimanche soir sans même lui prévoir un successeur ! Pour asseoir sa légitimité, Youssef Chahed se devait de garder Néji Jalloul. C'est une question de vie ou de mort politique pour lui. Il aurait mieux valu que Chahed démissionne plutôt qu'il limoge Jalloul ! Il en était intimement convaincu et il a résisté jusqu'au bout. Le dead-line du 30 avril est arrivé, il fallait honorer l'engagement donné. Un dimanche soir, il a offert le cadeau exigé par Noureddine Taboubi. Le SG de l'UGTT peut se pavaner avec beaucoup de fierté devant ses syndiqués, il a réussi le bras de fer. Maintenant, il peut leur demander ce qu'il veut. Reste maintenant à savoir si Béji Caïd Essebsi et Youssef Chahed peuvent également demander ce qu'ils veulent à Noureddine Taboubi… Pas sûr que la réponse soit positive !
Mohamed Talbi est décédé. Avec lui, un grand pan de l'Histoire, du Savoir et de la Science part. Une page se tourne. Des Talbi, en Tunisie, on n'en a plus beaucoup, voire on n'en a plus ! Paix à son âme, ce 1er mai est triste pour le pays.