Les appels pour un remaniement gouvernemental en profondeur se font de plus en plus pressants. Contraint de quitter la barque, Fadhel Abdelkefi a laissé un trou béant dans l'équipe de Chahed. Les portefeuilles des Finances et de la Coopération internationale devraient être pourvus rapidement. Le département de l'Education est dans la même situation. Mais cet état des faits a ravivé les convoitises et d'aucuns évoquent même la nécessité d'un gouvernement de compétences. L'été politique n'était pas de tout repos. Depuis quelques mois, on ne parle que de remaniement dans les couloirs et d'une nouvelle opportunité qui se présente pour se repositionner sur la scène politique. En juillet, le chef du gouvernement mettait le holà aux spéculations et déclarait qu'un remaniement ne se ferait qu'après une évaluation du rendement des ministres. Il avait surtout annoncé qu'il fallait tout d'abord remplacer les postes vacants. Chahed n'avait pas non plus oublié de rappeler à quel point son équipe a avancé dans l'exécution de l'Accord de Carthage. Aujourd'hui même il a affirmé que « l'heure du remaniement était venue ! ». Avec le départ forcé de Fadhel Abdelkefi, pourvoir les postes vacants s'impose de lui-même. Un départ qui a relancé le débat et les tractations sur l'imminence d'un remaniement.
Depuis juin, le secrétaire général de l'UGTT avait appelé le gouvernement à revoir sa copie en matière d'organisation des ministères, suggérant la mise en place de nouveaux portefeuilles et le fusionnement d'autres. Taboubi est revenu à la charge hier pour souligner qu'il n'était plus possible de commencer l'année scolaire avec un ministre de l'Education par intérim et sans ministre des Finances pour défendre la loi de Finances 2018 devant le parlement. Sauf que Taboubi ne s'est pas contenté d'appeler à pourvoir les postes vacants, il a saisi cette occasion pour rappeler le rôle primordial joué par la centrale syndicale dans les relations avec le gouvernement, notamment en composant avec l'équipe Chahed dans le cadre de l'Accord de Carthage. Le secrétaire général de la puissante UGTT, insinue en des mots à peine voilés que la centrale syndicale ne se contentera pas d'être un simple témoin et qu'elle compte avoir son mot à dire. Noureddine Taboubi estime donc qu'il est temps pour opérer « un remaniement ministériel en écartant les intérêts étroits des individus et des partis politiques et sans quotas partisans et en favorisant les compétences nationales intègres ».
Les jeux d'influence reprennent de plus belle. Nidaa Tounes qui appelait par le biais de son directeur exécutif, Hafedh Caïd Essebsi, à un remaniement en profondeur, espère profiter de cette situation pour reprendre du poil de la bête. Une rencontre entre HCE et le chef du gouvernement, Youssef Chahed s'est tenue il y a de cela deux jours. Objet de l'entrevue, le remaniement en vue. Le directeur exécutif de Nidaa a expliqué que son parti présentera ses propositions à Chahed si jamais il demandait des candidats aux postes ministériels vacants. Toutefois, HCE n'est pas prêt pour autant à donner le blanc-seing au chef du gouvernement, relevant que Chahed est tenu de consulter toutes les parties signataires de l'Accord de Carthage avant d'annoncer un remaniement ministériel. Autrement dit, Nidaa Tounes ne lâchera pour rien au monde l'affaire et n'acceptera pas un remaniement où il sera écarté, son bloc parlementaire pourrait, en effet, ne pas se montrer coopératif lors du vote de confiance. On ne sait jamais…
Du côté d'Ennahdha, on se tient à carreau, du moins en apparence. Parce que contenter le parti islamiste, qui détient déjà deux ministères au sein du gouvernement, n'est pas chose aisée, Youssef Chahed devra jouer à l'équilibriste. Abdelkarim Harouni, président du Conseil de la Choura du mouvement n'avait pas caché l'intérêt que porte son parti à un remaniement désormais incontournable, mais aussi son ambition de décrocher de nouveaux portefeuilles. Après la dernière sortie du grand chef du mouvement, Rached Ghannouchi, contre Youssef Chahed, lui intimant de ne pas se présenter aux prochaines échéances présidentielles et de se contenter de gérer les affaires courantes de l'Etat, un vent de froid souffle sur les relations avec le chef du gouvernement. Cependant, pour garder un semblant de soutien de la coalition au pouvoir, Chahed devra s'en tenir au sacrosaint consensus. Ennahdha dispose du plus grand groupe parlementaire. Une donnée à ne pas écarter pour éviter tout blocage.
A la tête de ceux qui appellent à la mise en place d'un gouvernement de compétences, le secrétaire général du MPT, Mohsen Marzouk. Selon lui, il s'agit là de la seule solution pour surmonter les difficultés rencontrées par le gouvernement actuel. Il estime ainsi que Chahed se doit de lutter contre toutes les tentatives visant à renforcer la politique de quotas « qui entrave le travail du gouvernement et met en cause sa légitimité ».
Dans tout cela, le chef du gouvernement se garde de tout commentaire et s'en tient à la prudence pour garder la cohésion. Il avait déclaré qu'il n'était pas possible et viable de procéder à des remaniements chaque été et toutes les fois où cela arrangerait un parti ou l'autre. Maintenant que c'est incontournable, les options qui se présentent à lui, après avoir tenté pendant des mois à retarder la question du remaniement, sont multiples. Youssef Chahed pourrait seulement nommer des ministres aux postes vacants, choisir d'opérer un remaniement moyen ou assez élargi. Il devra dans ce sens composer avec toute la scène politique et les négociations ne seront pas de tout repos. En outre, il est très peu probable que la présidence de la République reste à l'écart des tractations.
Aurait-il seulement la possibilité de former un gouvernement basé sur des compétences qui pourraient tenter de sauver les meubles, loin des calculs politico-politiciens? Devrait-il, en revanche, s'en tenir au modèle d'un gouvernement d'union nationale qui a montré ses limites et arrive à bout de course ? En tout état de cause, une nouvelle et rude épreuve attend le chef du gouvernement. Entre magouilles politiques, tractations à n'en plus finir et une marge de manœuvre restreinte, Youssef Chahed devra faire ses preuves.